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Pour être inscrit sur la liste, il fallait avoir trente ans accomplis. La sagesse grecque jugeait qu’un homme de vingt ans pouvait bien être capable de voter sur les lois, sur les impôts, sur la guerre, mais qu’il fallait en avoir au moins trente et posséder quelque expérience de la vie pour prononcer un arrêt sur les biens ou sur la vie d’un autre homme. En principe, les six mille juges formaient un tribunal unique. Dans la pratique, il avait bien fallu partager ce tribunal en sections. Chaque section était de deux cents membres au moins, le plus souvent de cinq cents, quelquefois de mille. Il arrivait parfois que, vu l’importance des débats, toutes les sections se réunissaient, et l’héliée siégeait tout entière en un seul corps[1].

Il n’y a presque aucune analogie entre ce grand tribunal athénien et notre jury français. Les héliastes n’étaient pas de simples jurés ayant pour unique mission d’exprimer leur avis sur un fait ; ils étaient de véritables juges, et ils l’étaient aussi bien au civil qu’au criminel. Chacune des sections était présidée par un des chefs de la cité, soit archonte, soit stratège ; mais ce personnage devait se contenter de convoquer les juges, d’introduire les témoins, de veiller au bon ordre des débats. Ce n’était pas lui qui jugeait. Il n’avait à prononcer ni sur le fait en litige, ni sur l’application de la peine. La sentence n’appartenait qu’aux héliastes ; ils décidaient avec une liberté et une souveraineté parfaite, sans recevoir aucune direction étrangère et sans que leurs jugemens pussent être frappés d’appel. Il est donc vrai de dire que tout citoyen était un juge. Le tribunal n’était pas autre chose que la population même ; c’était la cité rendant la justice. Comme le peuple se gouvernait lui-même, il se jugeait aussi lui-même. Il jugeait ses procès et ses crimes au même titre qu’il votait ses lois et ses traités de paix.

Assurément cette organisation judiciaire était en accord parfait avec le gouvernement de l’état athénien, et l’on ne pourrait pas imaginer une justice plus démocratique. De là ressortaient plusieurs avantages. D’abord il n’était pas à craindre que l’action de la justice fit échec aux institutions politiques ou les énervât. Elle assurait au contraire et rendait inébranlables la liberté publique et l’égalité. Aucune tyrannie, aucun privilège, ne pouvait songer à s’élever en face d’une justice ainsi constituée. Les droits de tous se trouvaient garantis par tous. Pour les crimes frappant les individus, chaque victime avait pour vengeur la cité tout entière. Les plus pauvres et les plus faibles étaient sûrs d’être puissamment protégés. Qu’on ajoute à cela que la justice était absolument gratuite, que

  1. Sur le détail de cette organisation, voyez l’Essai sur le droit public et privé de la république athénienne, par M. George Perrot.