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les débats étaient publics, qu’enfin il n’existait pas d’emprisonnement préventif, et l’on estimera qu’Athènes avait trouvé quelques-uns des vrais principes d’une bonne organisation judiciaire.

Pourtant, si nous regardons de près comment cette justice était appliquée et comment ce bel organisme fonctionnait, bien des défauts se laissent apercevoir. C’en était un d’abord qu’il fallût un si grand nombre de juges, et que la justice ne pût être rendue qu’à la condition que la moitié des citoyens y emploieraient toutes leurs journées d’un bout de l’année à l’autre, au grand préjudice de leurs affaires et de leurs travaux. C’en était un autre de confier la justice, cette mission si difficile et si délicate, à des hommes à qui l’on ne demandait aucune instruction préalable, aucune aptitude particulière. Il ne suffit pas d’avoir du bon sens et un cœur droit pour bien juger, encore faut-il connaître les lois. Ce n’est même pas encore assez, et l’on ne peut être un bon juge, si l’on n’a pas fait une étude suffisante du cœur humain, de ses passions, de ses travers, de ses hypocrisies ; il faut s’être rendu capable de discerner la vérité du mensonge dans les dépositions des témoins ou dans les plaidoiries ; les faits connus, il faut démêler encore les intentions. Parmi ces juges improvisés, combien il devait être facile de trouver des dupes ! Athènes croyait naïvement que les tribunaux auraient d’autant plus de sagesse que leurs membres seraient plus nombreux ; mais dans de telles foules chacun compte sur l’ensemble. Augmentez le nombre des juges, vous n’augmentez, pas le soin que le tribunal apporte à l’examen des affaires, et la somme d’attention sera peut-être moindre chez cinq cents juges qu’elle ne le serait chez douze. Peut-être Athènes, en multipliant les juges, avait-elle compté que la vénalité et la corruption seraient plus difficiles et plus rares. En ce point, elle se trompait encore ; l’intrigue s’exerce plus aisément sur des foules irresponsables qu’elle ne s’exercerait sur un petit nombre d’hommes se surveillant l’un l’autre. Les comédies d’Aristophane et mieux encore les plaidoyers des orateurs attiques prouvent que les tribunaux d’Athènes n’étaient pas au-dessus du soupçon.

Les assemblées nombreuses ont un autre désavantage, l’éloquence et l’habileté de parole y ont trop d’empire. C’est une vérité que chacun connaît par expérience ; on sait que la même affaire, suivant qu’elle sera examinée par une quinzaine d’hommes ou qu’elle sera débattue devant une assemblée de plusieurs centaines de membres, sera presque toujours jugée différemment. L’âme humaine n’est pas exactement la même quand elle est seule ou quand elle se trouve au milieu d’une foule. Seule ou presque seule, elle a la réflexion et le calcul. Enveloppée de la foule, elle n’a presque que des entraînemens et des passions. Il se passe dans toute multitude réunie des faits incompréhensibles qui sont comme des contagions ; ils