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tum, ou ce qu’il avait répondu au fonctionnaire qui l’avait consulté (responsum). La loi n’était autre chose que la volonté de l’empereur, quidquid principi placuit legis habet vigorem. Ainsi toute autorité, politique, législative, judiciaire, se trouvait concentrée dans les mains d’un seul homme ou dans les mains de ses agens.

Il va sans dire qu’avec une pareille justice le simple particulier n’avait aucun recours contre les abus de pouvoir des gouverneurs. Or on reconnaît une bonne organisation judiciaire surtout à ce signe, qu’elle garantit les droits de l’individu contre les exigences excessives des pouvoirs publics. Rien de semblable ne pouvait exister dans la justice impériale. S’agissait-il de ce qu’on appelait crimes de majesté, c’est-à-dire d’un de ces nombreux délits qui portaient atteinte à l’état ou à la personne du prince, c’étaient les agens de l’état et les représentans du prince qui étaient juges. S’agissait-il d’une simple question d’impôt, d’un refus de paiement ou d’une réclamation, l’homme qui jugeait était précisément celui qui était chargé de la perception des impôts, et qui mettait son intérêt et même son devoir à condamner. S’agissait-il d’une plainte contre un fonctionnaire, d’une de ces mille vexations auxquelles les gouvernés sont toujours exposés de la part des gouvernans, c’était devant un fonctionnaire qu’il fallait porter sa plainte.

Le despotisme alors imprima sa marque sur toutes les parties de la justice. La procédure fut simplifiée outre mesure pour la plus grande commodité du juge et aux dépens du justiciable. Un texte de loi donne une idée de la latitude qui était laissée au juge. « Pour les affaires de peu d’importance, y lit-on, il devra les expédier rapidement, de plano, et bien vite renvoyer l’accusé ou lui infliger la peine du bâton ou du fouet. » Or quelles étaient les affaires de peu d’importance ? C’était au juge lui-même à le décider. L’état se gardait bien d’imposer des règles étroites à un juge qui était son agent. En général, la loi l’enchaînait fort peu ; il pouvait presque toujours, suivant l’expression du code lui-même, porter un arrêt plus doux ou plus dur à son choix, ce qui signifiait qu’il appliquait la peine qu’il voulait, et qu’il lui était permis de se montrer, suivant les circonstances ou suivant son intérêt, indulgent ou sévère. L’accusé n’avait aucune garantie. Il existait, à la vérité, des avocats pour l’assister, pour lui faire connaître la loi, pour faire valoir son droit devant le juge ; mais le juge pouvait interdire à un avocat l’exercice de sa profession, ou lui défendre de plaider dans une affaire ; il n’y avait donc d’avocats qu’autant qu’il plaisait au juge.

Avec ce régime judiciaire, la détention préventive parut toute naturelle. Elle était inconnue dans les anciennes cités ; l’accusé, moyennant qu’il fournît caution, restait libre, et pouvait ainsi pré-