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parer sa défense. Sous l’empire, l’emprisonnement préventif s’établit. La torture devint aussi à cette époque un moyen d’information judiciaire. L’ancienne Rome ne l’autorisait que contre les esclaves ; l’empire l’infligea aux hommes libres. La pénalité devint aussi plus sévère que dans l’époque précédente ; on imagina des supplices nouveaux, la flagellation, la confiscation des biens, le travail forcé dans les mines, enfin la servitude.

La confiscation surtout paraît avoir été du goût des législateurs et des juges impériaux. Toute condamnation à mort ou à la déportation entraînait avec elle la confiscation des biens du condamné ; la famille et les enfans se trouvaient ainsi condamnés pour la faute d’un seul. Le même châtiment fut prononcé pour une foule de délits ; par exemple, si un décurion épousait une esclave, si un propriétaire donnait asile à un voleur, si, pour diminuer sa part d’impôt, on dissimulait la valeur de ses biens, pour beaucoup d’autres fautes assez légères, la confiscation était prononcée. Ainsi l’état s’enrichissait par les fautes des particuliers, et il avait intérêt à ce qu’il y eût des coupables. Nous pouvons bien penser que, lorsqu’un accusé était amené devant le juge, ce juge, qui était l’agent de l’état et le percepteur des impôts, devait calculer ce que la condamnation pouvait rapporter et se sentir disposé par devoir à condamner. Loin que la justice assurât le droit de propriété, elle lui faisait la guerre. Les documens de cette époque nous le montrent. En effet, les terres sortaient peu à peu des mains des particuliers et passaient dans celles de l’état, qui les convertissait en domaines emphytéotiques. Ce grave changement dans la nature de la propriété foncière, ou plutôt cette disparition graduelle de la propriété fut la conséquence de la mauvaise organisation de la justice. La justice, qui doit avoir pour objet de protéger l’existence et la propriété des hommes, semblait au contraire établie tout exprès pour mettre l’une et l’autre à la discrétion du pouvoir. Le mal qu’elle fit peut se mesurer à la ruine générale et à la pauvreté qui frappa les populations. Le droit de propriété et la liberté civile n’étant plus garantis, le travail cessa, les métiers chômèrent, l’agriculture languit, les champs restèrent en friche, et furent souvent abandonnés par leurs propriétaires. Le nombre des esclaves s’accrut, et celui des hommes libres diminua. Le despotisme stérilise et corrompt par sa justice même.

Fustel de Coulanges.
(la seconde partie au prochain numéro.)