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Histoire de la littérature allemande, par M. Heinrich, 2 vol. in-8o ; Franck 1870.


Si nous avons pu nous convaincre que les Allemands, tout en sachant notre langue, nous connaissent mal et de façon à commettre en tout ce qui nous concerne d’étranges et dangereuses erreurs, il faut bien nous attendre à pénétrer nous-mêmes avec peine leur caractère et leur génie, si différens des nôtres. Aussi faut-il accueillir avec gratitude des livres de savoir intelligent et de goût, destinés à nous rendre une telle étude plus prompte et plus facile. De ce nombre est l’Histoire de la littérature allemande, de M. Heinrich, publiée il y a seulement quelques mois. Des trois volumes qui composeront cet ouvrage, deux ont paru, résultat de dix années d’un enseignement à la fois solide et brillant à la faculté des lettres de Lyon ; ils comprennent toute l’histoire des lettres allemandes jusqu’aux dernières œuvres de Goethe, de sorte que le troisième volume sera tout entier réservé à la littérature contemporaine.

L’histoire littéraire ne doit plus se borner à enregistrer chronologiquement et par catégories les diverses œuvres épiques, lyriques, dramatiques, en se bornant à faire connaître la biographie de chaque écrivain ou de chaque poète, avec une analyse et au besoin des citations de ses principaux ouvrages. Elle aspire à interpréter par une synthèse plus intelligente un génie national qu’elle étudie dans sa formation, qu’elle suit avec un intérêt dévoué dans toutes les grandes manifestations de sa virilité, dont elle signale enfin les causes de caducité ou de nouveau progrès, soit présentes, soit prochaines. Il lui faut, pour cela, consulter l’histoire politique et morale, se faire universelle par une large sympathie avant de se faire particulière par une habile critique.

Où commencera, cependant une histoire de la littérature allemande ? M. Heinrich n’a pas hésité à y comprendre ce qu’il appelle justement les origines germaniques. À ce compte, il a raison de commenter d’abord la Germanie de Tacite. Il n’y a pas de livre dont les Allemands encore aujourd’hui soient plus fiers. Dès l’époque de la renaissance, les manuscrits qui nous ont conservé l’œuvre de l’historien romain l’appellent le « livre d’or de la Germanie. » On sait en effet de quel prix sont les observations qui le composent, et combien nous eussions perdu à ne pas les conserver ; mais l’Allemagne moderne a-t-elle bien le droit de revendiquer pour elle seule le bénéfice de cet héritage ? Ne pourrait-on pas démontrer que le génie anglo-saxon est l’héritier très direct de certains traits du caractère que Tacite a dépeint ? Une foule de traditions germaniques ne se sont-elles pas transmises plus intactes en Scandinavie que dans l’Allemagne moderne, toute pénétrée d’influences classiques, slaves, etc. ? La France elle-même n’a-t-elle pas, dans son travail de fusion que la force peut seule rêver de dissoudre, admis des élémens