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du collège, à s’enrôler parmi les poètes ou les historiens de profession. De même que l’éducation universitaire n’a pas pour objet unique de former des littérateurs, bien qu’elle repose tout entière sur l’étude des chefs-d’œuvre littéraires, de même l’enseignement élémentaire du dessin doit répondre à des besoins généraux et procéder d’une doctrine supérieure aux exigences ou aux fantaisies individuelles. En un mot, il en va de cet enseignement comme de l’enseignement de toute langue, de tout moyen d’expression pour la pensée humaine : il doit être fondé sur des principes et des exemples qu’il n’appartient à personne de supprimer ou de diversifier à sa guise, sur des règles une fois reconnues dont un examen rationnel sera le contrôle, et la série des grandes œuvres la démonstration naturelle. Pourquoi dès lors marchander aux élèves les secours qui leur deviendraient profitables le plus sûrement et le plus tôt ? Étrange moyen de fortifier les jeunes esprits que de ne leur donner, à l’âge où l’on a le plus besoin d’alimens généreux, qu’une nourriture fade ou insuffisante !

Voilà cependant le parti qu’on a cru devoir adopter jusqu’à présent. Chacun sait ce que sont les modèles de dessin dans nos écoles, depuis les écoles communales et les lycées jusqu’à l’École polytechnique, à quels inutiles tours d’adresse ces modèles condamnent les crayons qui entreprennent de les reproduire. Qu’il s’agisse des prétendues têtes d’étude publiées au commencement du siècle par Lemire et Lebarbier, ou bien de ces académies lithographiées par M. Julien, qui hier encore défrayaient les travaux de la jeunesse française tout entière, il semble qu’on n’entende exiger des élèves rien de plus que la dose de patience nécessaire pour s’initier aux mystères de la hachure ou à la science du pointillé. De là, chez les victimes de cette triste méthode, le dégoût ou tout au moins l’ennui pendant les années d’apprentissage, et, en fin de compte, quelque chose de pis que l’ignorance, — un goût à jamais perverti, une incapacité absolue, même pour les plus habiles, de concevoir et de rendre le vrai. Demandez à l’élève réputé le plus fort en dessin de son collège, à celui qui aura remporté tous les prix, demandez-lui de copier, non plus un modèle dédié à la gloire du « crayon manié, » mais un objet réel, si peu compliquées qu’en soient les formes, il se trouvera en face de ces formes, muettes pour ainsi dire, aussi empêché, aussi dépourvu, qu’il se sentait sur de la réussite lorsqu’il n’avait à s’approprier que l’éloquence mensongère de la pratique et les bavardages du procédé.

Les exemples de calligraphie pittoresque décorés du nom d’études ou de principes que l’on met d’ordinaire sous les yeux des élèves ont donc ce double inconvénient de faire prévaloir une dextérité