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excellens ? Pourquoi s’y prendrait-on en matière d’enseignement du dessin autrement qu’on ne procède dans le domaine de l’éducation littéraire ? Si l’on met entre les mains des élèves de nos lycées les grands monumens de la littérature antique, c’est apparemment qu’on suppose ceux-ci à la portée même des plus jeunes intelligences, c’est qu’on juge avec raison que l’apprentissage de la pensée ne saurait être commencé en trop bon lieu, et qu’il n’est jamais trop tôt pour provoquer chez ceux qui sont appelés à devenir des hommes l’essor des idées viriles. Quelle nécessité de changer d’avis là où il s’agit des facultés pittoresques et des moyens les plus propres à les développer ? C’est précisément parce que les chefs-d’œuvre des maîtres sont des chefs-d’œuvre qu’il convient d’en prescrire l’étude à l’exclusion du reste. En accoutumant les commençans à n’envisager l’art que dans son expression la plus haute, ils ôtent d’avance au médiocre toute influence, ils le discréditent par le contraste, ils élèvent le niveau des idées de telle sorte que les envahissement du faux goût ne peuvent y atteindre, ni les menues séductions s’y exercer.

Reste toutefois une objection. En prodiguant ainsi, dira-t-on, les occasions de connaître et d’étudier ce que l’art nous a légué de plus beau, en livrant tout d’abord et à tout venant des trésors inappréciables, on courra le risque d’en favoriser le gaspillage ou d’abuser sur leur propre compte les gens que l’on prétendait instruire. L’habitude chez ceux-ci n’arrivera peut-être qu’à engendrer la satiété, ou bien, fascinés et trompés par l’éclat même des modèles qu’on leur propose, ces simples apprentis se croiront de taille à devenir à leur tour des artistes, au lieu de se préparer sans arrière-pensée au rôle plus humble qui leur est réservé. De là les fausses vocations, les vanités, les ambitions stériles, et par conséquent des déceptions ou des misères dont seront en réalité responsables ceux qui auront prescrit cette familiarité prématurée avec les maîtres.

Cela est vrai ; plus d’une méprise pourra se produire, plus d’une intelligence céder inconsidérément à la tentation, sauf à reconnaître trop tard qu’elle a fait fausse route. Tel qui se serait assuré une place parmi les ouvriers habiles n’aura réussi, en portant trop haut ses visées, qu’à grossir le nombre des peintres ou des sculpteurs médiocres ; mais, pour empêcher quelques-uns de se laisser éblouir, faudra-t-il cacher à tous la lumière ? De peur d’encourager les imprudens, sera-t-il juste de désarmer ceux qui ne songeraient pas à courir les aventures ? Et d’ailleurs le danger n’est pas plus grand dans les ateliers que dans les classes, où tous les écoliers qui traduisent Virgile et Thucydide n’en viendront pas pour cela, au sortir