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tampe ou une lithographie sera mieux préparé sans doute à interpréter la réalité même que celui qui ne se sera préalablement servi que d’un procédé invariable. L’essentiel à ses yeux consistera dans la fidélité morale pour ainsi dire de la copie, dans l’imitation exacte de la physionomie propre à un type, non dans le maniement plus ou moins adroit de l’instrument matériel. Pour compléter à cet égard son expérience, ne serait-il pas bon d’ajouter à l’emploi alternatif de certains moyens la diversité même des développemens ou des traductions abrégées que peut comporter chaque modèle ? Que l’on dessine une fleur ou une plante uniquement avec la volonté de donner à l’image une stricte vraisemblance, c’est là une excellente besogne, c’est par là qu’il faudra commencer, puisqu’il s’agit avant tout d’accepter et de rendre le fait naturel ; mais n’arrivera-t-on pas à se l’approprier plus sûrement encore, à en analyser plus rigoureusement les conditions, si, en agrandissant ou en réduisant les proportions de cette plante ou de cette fleur, on se trouve obligé soit d’insister sur chaque détail, soit de résumer chaque vérité essentielle ? Vienne plus tard l’occasion de convertir en motif d’ornement un objet ainsi étudié dans sa structure et dans ses caractères organiques, dans sa raison d’être intime, on s’acquittera d’autant mieux de la tâche qu’elle aura été pressentie de plus loin, et qu’on se sera plus sincèrement appliqué d’avance à en scruter l’esprit et les termes.

Il est un autre point qui réclame une attention toute spéciale, un autre progrès à réaliser qui rencontrera peut-être la plus vive résistance dans nos habitudes ou dans nos préjugés ; nous voulons parler de la part à faire dans l’enseignement du dessin à un exercice méthodique de la mémoire. L’organisation présente des écoles met ce moyen d’instruction entièrement hors de cause. Il semble que l’on considère la mémoire comme une faculté dangereuse à laquelle il serait impossible de recourir sans aboutir inévitablement à l’abus, et que l’on doive à tout prix la laisser sommeiller pour ne pas se trouver bientôt forcé de la combattre. Dans combien d’occasions pourtant ce prétendu danger ne deviendra-t-il pas une ressource principale, la seule même dont il sera possible de disposer !

Si l’esprit ne s’est approvisionné à temps d’observations et de souvenirs, comment la main s’y prendra-t-elle pour retracer le mouvement instantané, l’aspect fugitif d’un corps en action, pour représenter par exemple, au milieu d’ornemens sculptés ou sur un panneau d’arabesques, le vol d’un oiseau, le galop d’un cheval, les replis sinueux d’un serpent ? À ne parler que de la figure humaine, la présence du modèle demeurerait insuffisante en pareil cas. Lors même que ce modèle vivant, posant dans un atelier suivant la coutume,