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duire qu’à des conflits sans espoir, — que ceux qui aiment leur pays lui épargnent au moins cette dernière douleur ! À quoi serviraient des agitations et des tentatives irréfléchies ? Elles ne seraient qu’un prétexte offert à l’ennemi pour rompre l’armistice, elles lui livreraient la cité tout entière avec ses propriétés, ses chefs-d’œuvre, ses monumens, qui resteraient à sa discrétion. Paris se doit à lui-même de contenir ses plus légitimes émotions, de supporter cette dernière épreuve avec courage, de se rappeler enfin, comme le lui dit une proclamation du gouvernement, qu’il a pour quelques heures entre les mains sa propre destinée et la destinée de la France, qu’il peut tout sauver ou tout perdre.

C’est une crise pénible et heureusement courte à passer. Pendant ce temps, la France, dans sa souveraineté, aura pu décider de son sort. Nos négociateurs se sont acheminés vers Bordeaux avec ce triste message, et si Paris a le devoir de laisser à la France le temps de se prononcer, les députés réunis à Bordeaux ne sauraient oublier de leur côté qu’ils doivent bien aussi à Paris de ne point prolonger ses angoisses. Ce n’est plus le moment des discussions ; il ne s’agit pas de se perdre dans les détails, il s’agit de la paix ou de la guerre : tout est là. Et si la nécessité impitoyable s’impose à toutes les consciences, le mieux serait encore de voter en silence, quoique avec désespoir, ce qu’on ne peut plus éviter. Les conditions qu’on a été obligé d’accepter provoqueront, nous n’en doutons pas, à Bordeaux et dans la France entière les révoltes patriotiques qu’elles ont soulevées ici. Les mots de guerre à outrance retentiront dans l’assemblée. Que ces fidèles et chères provinces qui vont être séparées du grand faisceau national, que les premières victimes de ce déchirement fatal, que ceux qui les représentent parlent de combattre et aspirent la lutte, nous le comprenons trop ? seuls, ils ont le droit de n’écouter que leur patriotique douleur, et leurs protestations sont encore une manière de prouver au dominateur étranger ce qu’il y a de sentimens français dans leur âme. Quant aux autres représentans de la France, qu’ils y songent bien, ils ne sont pas libres de secouer le fardeau de la totalité qui pèse sur nous tous, et ce serait à coup sûr un calcul cruellement frivole, une dangereuse politique, de chercher une popularité trop facile par des protestations sans effet, en rejetant la responsabilité d’un dénoûment inévitable sur ceux qui, au prix de tous les déchiremens de leur âme, ont eu le courage de signer la paix.

Les orateurs ou les politiques qui ne voient partout que trahison, qui ne parlent que de guerre à outrance, et qui se préparent à se faire une arme de cette paix nécessaire, croient-ils donc qu’on a pu se décider aisément à céder cette patriotique Alsace et les fragmens de notre vieille Lorraine ? S’il ne s’agissait que de savoir ce qu’on aurait voulu, ce ne serait pas bien difficile. Personne ne reculerait devant les sacrifices, si la lutte offrait encore quelque chance. Cette lutte est-elle possible ? Voilà toute la question. Les défenseurs de la guerre à outrance croient peut-être se