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de concours que lui promettait la politique suivie par les principales puissances de l’Europe. Elle savait, elle devait savoir qu’elle ne pouvait compter sur personne, et dès lors que restait-il à faire ? Si la France, éprouvée par une série d’incroyables désastres, épuisée par des efforts toujours nouveaux et toujours stériles, n’avait plus l’espoir de vaincre par elle-même, de se délivrer d’une invasion mortelle, si elle n’était plus en état de continuer une guerre qui lui a coûté jusqu’ici trois armées entières, si d’un autre côté elle n’avait à espérer aucun secours, la conséquence était cruellement évidente ; la douloureuse et irrésistible nécessité de la paix s’imposait à nos négociateurs, qui n’allaient point certainement à Versailles sans s’être rendu compte de la situation de la France, de ses ressources, de ses dispositions, de ce qui pouvait lui rester d’espérance. S’ils ont fini par se résigner à subir la loi du vainqueur, c’est qu’ils ne pouvaient pas faire autrement.

Ah ! certes elle est sans pitié, cette loi du vainqueur ; elle est terrible cette paix, qui restera comme le souvenir d’une des heures les plus néfastes de notre histoire. L’Alsace et une partie de la Lorraine abandonnées à l’ennemi, cinq milliards d’indemnité, l’occupation d’un des quartiers de Paris jusqu’à la ratification des préliminaires de paix par l’assemblée, c’est la dure rançon qu’on nous impose, et encore ceux qui ont négocié ces conditions ont-ils été obligés de disputer le terrain pied à pied. On voulait nous infliger encore, à ce qu’il paraît, la limitation de nos forces militaires, sans doute par représailles de ce qui avait été imposé à la Prusse après Iéna. Oui, nos négociateurs ont eu le chagrin d’avoir à discuter de telles conditions, auxquelles ils ont refusé absolument de souscrire, et ils n’ont réussi à sauver Belfort, ils n’ont pu obtenir une prolongation d’armistice qu’en consentant à cette occupation momentanée des Champs-Elysées, qui est un deuil de plus ajouté à tant d’autres deuils. Au premier instant, la population parisienne a été saisie d’une indicible émotion. Assurément, après un siège comme celui qu’il a soutenu, Paris avait le droit de s’attendre à être traité comme une ville qui n’a point été prise par les armes, qui s’est fait respecter jusqu’au bout, et qui n’a cédé qu’à la famine. Le vainqueur lui devait ce prix de sa patriotique constance, il se serait honoré lui-même en honorant des vaincus. Puisqu’il n’a pu en être ainsi, puisque l’ennemi a tenu absolument à faire camper trente mille des siens en face de l’Arc-de-l’Étoile, la population parisienne sentira, nous n’en doutons pas, qu’elle ne doit répondre à cette victoire de l’orgueil militaire que par un deuil muet et une impassible dignité. Elle se dira que le sacrifice imposé à sa fierté est encore une manière de servir la France, puisqu’il aura racheté Belfort et sauvé de la domination étrangère quelques milliers d’âmes françaises. Qu’on fasse le silence et le vide autour de ce camp ennemi, qu’on ne se laisse point aller à des excitations et à des démonstrations qui ne seraient plus qu’une vaine bravade, ou qui ne pourraient con-