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la domination romaine, arrêtèrent le cours de la civilisation latine, et firent les nouveau-venus maîtres du pays. Les habitans qui n’abandonnèrent pas le sol où ils étaient nés furent réduits en esclavage et disparurent dès lors de l’histoire ; un grand nombre s’enfuit en Gaule, dans cette Armorique qui reçut désormais le nom de « Petite-Bretagne, Britannia minor[1], » par opposition à l’île de Bretagne, la mère-patrie. D’autres Bretons se réfugièrent dans l’ouest de leur île, dans la province que les Romains appelaient du nom de Britannia Secunda, et dont la population, défendue par le rempart naturel de ses montagnes, put soutenir heureusement la lutte et sauver sa nationalité. Ces Bretons de l’ouest, les nouveaux maîtres de l’île les appelèrent Walah (d’où le moderne anglais Welsh et notre propre mot Gallois) ; c’est le nom que les Germains donnaient aux populations de l’empire romain avec lesquelles ils se trouvaient en contact, c’est le nom qu’ont également gardé jusqu’à nos jours les « Wallons » de la Gaule belgique et les « Valaques » de la Dacie, bien que ces derniers s’appellent eux-mêmes « Roumains. » Les Gallois n’ont pas accepté davantage le nom sous lequel les Anglais les connaissent, et ils se nomment dans leur langue Cymry, nom qui signifie littéralement « ceux qui ont une même patrie, » et qui a pris son origine dans la lutte soutenue en commun contre l’envahisseur par ce qui survécut de la population indigène. Ce n’est qu’au xive siècle que les rois anglais soumirent définitivement le pays de Galles ; mais les conquérans, rendant hommage à la force de résistance du pays vaincu, le constituèrent en une « principauté » qui conserva longtemps une existence distincte de celle du royaume d’Angleterre, et qui, pour avoir été politiquement assimilée à l’Angleterre par un statut de 1746, n’en a pas moins maintenu presque intacte sa nationalité celtique.

On sait comment la race celtique, après avoir étonné le monde ancien par ses courses aventureuses, après avoir longtemps dominé dans le centre et dans l’ouest de l’Europe, s’est, dès l’aube des temps historiques, effacée devant les races latine et germanique. Les Romains, grâce à leur savante discipline, et plus tard les Teutons par leur fougue barbare, eurent facilement raison des Celtes, Gaulois du continent et Bretons des îles, que laissaient presque sans défense la mollesse d’une vie déjà civilisée et par-dessus tout l’incapacité de former un état, même fédératif. Ce manque d’esprit politique est malheureusement un des traits distinctifs du caractère celtique, et la nation française, dans la formation de laquelle l’élément gaulois entre pour une forte part, en a plus d’une fois, hélas ! fourni la triste preuve. Vaincue ou absorbée par

  1. La Bretagne armoricaine se divise à son tour en Haute-Bretagne et en Basse-Bretagne ; mais, comme cette dernière est seule restée fidèle à la nationalité celtique, on applique souvent en France, quoique à tort, le terme de « Basse-Bretagne » à la Bretagne tout entière. Cette appellation doit être réservée à la Bretagne bretonnante.