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1er novembre.

De pire en pire ! On nous annonce la reddition de Metz ; le gouvernement nous la présente sans détour comme une trahison infâme ; c’est aller un peu vite. Attendons les détails, si on nous en donne. Quelqu’un qui a vu de près le maréchal Bazaine en Afrique nous le définit ainsi : dans le bien et dans le mal, capable de tout. D’autres personnes assurent qu’au Mexique il n’avait d’autre pensée que celle de se faire proclamer empereur ! Il est par terre, on l’écrase ; hier c’était un héros, le sauveur de la France. Ce sera un grand procès historique à juger plus tard. Ce qui est incompréhensible en ce moment, c’est la brusque transition opérée dans le langage de ceux qui renseignent et veulent diriger l’opinion publique, et qui d’une heure à l’autre la font passer d’une confiance sans bornes à un mépris sans appel. Il y a quelques jours, des doutes s’étaient répandus ; il nous fut enjoint de les repousser comme des manœuvres des ennemis de la république et du pays. Ce matin, le gouvernement en personne voue le traître à l’exécration de l’univers. Cela nous bouleverse et me paraît bien étrange, à moi. Comment le ministre de la guerre n’a-t-il rien su des dispositions de Bazaine à l’égard de la république ? S’il les savait douteuses, pourquoi a-t-il affiché la confiance ? Je ne veux pas encore le dire tout haut, il ne faut pas se fier à son propre découragement, mais malgré moi je me dis tout bas : Qui trompe-t-on ici ?

Il n’était pas impossible d’avoir des nouvelles de Metz. J’ai reçu dernièrement un petit feuillet de papier à cigarettes qui me rassurait sur le sort du respectable savant M. Terquem, et qui était bien écrit de sa main : « nous ne manquons de rien, nous allons très bien, quoique sans clocher depuis quinze jours. »

La famine ne se fait pas tout d’un coup dans une place assiégée. On a pu la voir venir, on a dû la prévoir. Hier on la niait, et, au moment où Bazaine la déclare, on la nie encore. J’ai une terreur affreuse qu’il ne se passe à Paris quelque chose d’analogue, si Paris est forcé de capituler. Si la disette se fait, on la cachera le plus longtemps possible pour ne pas alarmer la population ou dans la crainte d’être accusé de lassitude, et tout à coup il faudra bien avouer. Peut-être alors la population sera-t-elle exaspérée jusqu’à la haine ! La colère est injuste. On ira trop loin, comme on va peut-être trop loin pour Bazaine. J’ai peur que le système du gouvernement de Paris ne soit de cacher à la province ses défaillances, et que celui du gouvernement de la province ne soit de communiquer à Paris ses illusions. Dans tous les cas, ce qui se passe à Metz s’explique par les mouvemens logiques du cœur humain. Dans le danger commun, personne ne veut faiblir ; on s’excite, on s’exalte, on ne veut pas croire qu’il soit possible de succomber. La prévoyance