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gitimistes, ou orléanistes ou bonapartistes, mais qui tiennent tous plus ou moins pour le principe d’autorité monarchique et religieuse. La prétendue réaction, c’est donc toute une France par le nombre, une majorité flottante entre les trois drapeaux et prête à se rallier autour de celui qui lui offrira plus de sécurité, — ce qui est prévoyant et rassis, commerçant, ouvrier, industriel, fonctionnaire, artiste, paysan. C’est ce qu’on appelle la masse des honnêtes gens, c’est ce qu’il ne faudrait qualifier ni d’honnête ni de malhonnête ; c’est la race calme ou craintive dont à mes yeux le tort et le malheur sont de manquer d’idéal ou de s’y refuser de parti-pris, car tout Français est idéaliste malgré lui. Dans le bien et le vrai, comme dans le faux et le mauvais, tout Français poursuit un rêve et aspire à un progrès approprié à sa nature ; tout Français se lasse vite du possible immédiat et cherche vers l’inconnu une route plus sûre que celle qu’il a parcourue ; tout Français veut être bien d’abord, mieux ensuite et toujours mieux.

Mais personne ne se connaît, et les innombrables tempéramens qui se rattachent au maintien de l’ordre à tout prix repoussent en principe les innovations qu’ils cherchent en fait. Pourquoi les traiter d’ennemis quand ils ne sont que des attardés ? Si vous savez fonder une société qui contienne les mauvaises ambitions sans froisser les aspirations légitimes, vous rallierez à vous tout ce qui mérite d’être rallié ; cela était possible au début de la révolution actuelle. Cet appel à tous au nom de la patrie en danger a été noble et sincère. Le grand nombre a marché, ne refusant ni sa bourse, ni son temps, ni sa vie ; mais l’inquiétude nous gagne, les républiques sont soupçonneuses, et depuis la capitulation de Metz nous voyons partout des traîtres. C’est l’inévitable désespérance qui suit les désastres ; nous cherchons l’ennemi chez nous, parmi nous. Il y est sans doute, car la république est fatalement entraînée à trouver des résistances chaque jour plus prononcées, si elle ne sauve pas le pays de l’invasion. Le pourra-t-elle ? Dans tous les cas, accuser et soupçonner est un mauvais moyen. Il faudrait nous en défendre de notre mieux, nous en défendre le plus longtemps possible, ne pas nous constituer en parti exclusif, ne pas établir dans chaque groupe une petite église, ne pas faire de catégories de vainqueurs et de vaincus, car la victoire est capricieuse, et nous serons peut-être avant peu les vaincus de nos vaincus.

Est-ce que nous allons recommencer la guerre des personnalités quand nous en avons une autre si terrible à faire ? Je vois avec regret le renouvellement des fonctionnaires et des magistrats prendre des proportions colossales. J’aurais compris certains changemens nécessaires dont l’appréciation eût été facile à faire, mais tous ! mais les colonnes du Moniteur remplies de noms nouveaux tous les