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jours depuis trois mois ! Y avait-il donc tant d’hommes dangereux, incorrigibles, imméritans ? Quoi ! pas un seul n’était capable de servir son pays à l’heure du danger ? Tous étaient résolus à le livrer à l’ennemi ! Je ne suis pas pessimiste au point d’en être persuadée. J’en ai connu de très honnêtes ; en a-t-on mis partout de plus honnêtes à leur place ? Hélas ! non, on me cite des choix scandaleux, que les républicains eux-mêmes réprouvent en se voilant la face. Le gouvernement ne peut pas tout savoir, disent-ils ; c’est possible, mais le gouvernement doit savoir ou s’abstenir.

Allons-nous donner raison à ceux qui disent que la république est le sauve qui peut de tous les nécessiteux intrigans et avides qui se font un droit au pouvoir des déceptions ou des misères qu’un autre pouvoir leur a infligées ? Mon Dieu, mon Dieu ! la république serait donc un parti, rien de plus qu’un parti ! Ce n’est donc pas un idéal, une philosophie, une religion ? O sainte doctrine de liberté sociale et d’égalité fraternelle, tu reparais toujours comme un rayon d’amour et de vérité dans la tempête ! Tu es tellement le but de l’homme et la loi de l’avenir que tu es toujours le phare allumé sur le vaisseau en détresse, tu es tellement la nécessité du salut qu’à tes courtes heures de clarté pure tu rallies tous les cœurs dans une commotion d’enthousiasme et d’espérance ; puis tout à coup tu t’éclipses, et le navire sombre : ceux qui le gouvernent sont pris de délire, ceux qui le suivent sont pris de méfiance, et nous périssons tous dans les vertiges de l’illusion ou dans les ténèbres du doute.

Samedi 5 novembre.

Il est très malsain d’être réduit à se passer du vote. On s’habitue rapidement à oublier qu’il est la consécration inévitable de tous nos efforts pour le maintien de la république. Les esprits ardens et irréfléchis semblent se persuader que la campagne n’apportera plus son verdict suprême à toutes nos vaines agitations. Tu es pourtant là debout et silencieux, Jacques Bonhomme ! Rien ne se fera sans toi, tu le sais bien, et ta solennelle tranquillité devrait nous faire réfléchir.

Nous n’avons pas compris, dès le principe, ce qu’il y avait de terrible et de colossal dans le suffrage universel. Pour mon compte, c’est avec regret que je l’ai vu s’établir en 1848 sans la condition obligatoire de l’instruction gratuite. Mon regret persiste, mais il s’est modifié depuis que j’ai vu le vote fonctionner en se modifiant lui-même d’une manière si rapide. J’ai appris à le respecter après l’avoir craint comme un grave échec à la civilisation. On pouvait croire et on croyait qu’une population rurale, ignorante, choisirait exclusivement dans son sein d’incapables représentans de ses intérêts de clocher. Elle fit tout le contraire, elle choisit d’incapables représentans de ses intérêts généraux. Elle a marché dans ce sens,