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comme une île enchantée que nos amis et nos enfans, partis hier, vont délivrer des ogres et des monstres de même sorte.

4 décembre, dimanche.

La joie n’est pas de longue durée ! On nous dit que nous avons perdu toutes nos positions sur la Loire. On ne publie pas les dépêches, elles sont trop, décourageantes. Il paraît qu’on avait exagéré, beaucoup le succès, et nous ayons encore été dupés ! Pourquoi nous tromper après avoir tant crié contre les trompeurs du régime précédent ? — Il fait atrocement froid. La neige épaisse et collante empêche de marcher. Cela ressemble à une campagne de Russie, pour nos soldats.

5 décembre.

On nous cache une défaite sérieuse. On dit que l’armée se replie en bon ordre. Nous ne sommes pas si loin du théâtre des événemens que nous ne sachions le contraire. On nous trompe, on nous trompe ! comme si on pouvait tromper longtemps ! Le gouvernement a le vertige.

6 décembre.

Encore plus froid, 20 degrés dans la nuit, et nos soldats couchent dans la neige ! Nos mobilisés sont atrocement logés à Châteauroux dans une usine infecte, ouverte à tous les vents. Les chefs sont à l’abri et disent qu’il faut aguerrir ces enfans gâtés. Chaque nuit, il y en a une vingtaine qui ont les pieds gelés ou qui ne s’éveillent pas. Morts de froid littéralement ! C’est infâme, et c’est comme cela partout ! Avant de les mener à la mort, on leur fait subir les tortures de l’agonie.

7 décembre.

Ce soir, dépêche insensée ! Je le sentais bien que le malheureux général qui a repris Orléans paierait cher sa courte gloire ! Orléans est de nouveau aux Prussiens. Notre camp est abandonné ; nous perdons un matériel immense, nos canons de marine, des munitions considérables ; notre armée est en fuite. Selon le ministre, le général a manqué de résolution ; selon le général, le ministre a manqué de savoir et de jugement ; le camp était mal placé, impossible à garder, et les troupes, déclarées hier si vaillantes, ont plié et ne peuvent inspirer aucune confiance ; tout cela est exposé par le ministre lui-même, mais sur un ton d’amertume et d’amour-propre blessé qui nous livre à tous les commentaires ; il termine par cette phrase étrange : le public appréciera. Le public ! c’est ainsi que ce jeune avocat parle à la France ! Se croit-il sur un théâtre ? Non, il a voulu dire : la cour appréciera ; il se croit à l’audience ! Est-ce là un langage sérieux quand on ne craint pas de tenir entre ses mains