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le sort de son pays ? Si le général qui n’obéit pas est coupable, pourquoi ne pas insister pour qu’il obéisse ? Si vous êtes certain qu’il se trompe, pourquoi lui envoyer un ordre qui l’autorise à se tromper ? Mais si le camp qu’il faut abandonner d’une manière si désastreuse était dans une situation déplorable, à qui la faute ? Si les armemens qu’on y a accumulés avec tant de peine et de dépense tombent entre les mains de l’ennemi, quels conseils a donc pris ce jeune orateur, qui s’est imaginé apparemment, un beau matin, être le général Bonaparte ? On a lieu de craindre qu’il ne soit que Napoléon IV.

Il s’en lave les mains, le public appréciera ! — Il y aura donc un public seul compétent pour juger entre sa science militaire et celle d’un général qu’hier encore il nous donnait comme une trouvaille de son génie ! Ou vous vous êtes cruellement trompé hier, ou vous vous trompez cruellement aujourd’hui. C’est un aveu d’ignorance ou d’étourderie que votre emphase ne vous empêche pas de faire ingénument. Je ne sais ce qu’en pensera le public, mais je sais que les familles en deuil ne vous jugeront pas avec indulgence. Général, vous seriez mis à la retraite par le chef du gouvernement ; chef du gouvernement, vous vous conservez au pouvoir. Voilà des inconséquences qui coûtent cher à la France !

Le résultat, c’est que deux cent mille hommes de notre armée sont en fuite, — on appelle cela maintenant se replier, — et que nous faisons une perte immense en matériel de guerre.

On parle d’une nouvelle victoire sous Paris ; nous n’y croyons plus, on ne croit plus à rien, on devient fou. Nous sommes ici dans notre campagne muette, ensevelie sous la neige, comme des passagers pris dans les glaces du pôle. Nous attendons les ours blancs, mais nous n’avons pas un fusil pour les repousser. Bon public ! tu es la part du diable.

8 décembre.

On ne parle plus de Paladines ni de son armée. Le gouvernement lance des accusations capitales, et, n’osant y donner suite, passe à d’autres exercices. Il nous annonce des succès sous toutes réserves, mais Rouen est pris ; on dit qu’il s’est lâchement livré pour de l’argent. Eh bien ! je n’en crois rien. Il y a un patriotisme furieux et insulteur qui n’a plus de prise sur moi. Si Rouen s’est livré, c’est qu’on ne l’a pas aidé à se défendre, c’est peut-être qu’on l’a indignement trompé.

De notre côté, l’ennemi revient sur Vierzon et sur Bourges ; si ces villes ouvertes et dégarnies ne démontent pas les batteries prussiennes à coups de pierres, dira-t-on qu’elles se sont vendues ? — Je commence à m’indigner, à me mettre en colère sérieusement, moi qui ai puisé dans la vieillesse une bonne dose de patience ; je