Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les rois francs essayèrent de la relever. Le système qu’ils tentèrent d’établir fut une sorte de combinaison entre les traditions de l’empire romain et les usages de la Germanie. Comme les empereurs, ils conférèrent à leurs fonctionnaires de l’ordre administratif, qu’on appelait comtes, le droit et le devoir de rendre la justice. En même temps, suivant les usages de la Germanie, ils laissèrent se former à côté de chacun de ces fonctionnaires un jury composé des notables de chaque canton que l’on appelait les rachimbourgs. Les rois eux-mêmes se constituèrent juges suprêmes au même titre que l’avaient été les empereurs et les préfets du prétoire ; mais dans le plaid royal les notables du royaume et tous les hommes puissans siégeaient à côté du roi et jugeaient avec lui. C’était, on le voit, un système mixte ; le pouvoir judiciaire était partagé entre l’autorité publique, représentée par les rois et leurs comtes, et la société elle-même, représentée par les grands dans le plaid royal et par les rachimbourgs dans les cours des comtés.

Quelle fut la valeur de cette organisation judiciaire ? Si l’on ne regarde que les actes officiels et les monumens législatifs du temps, il semble que cette justice ait été parfaitement constituée ; mais si l’on observe ce qu’elle était dans la pratique, si l’on pénètre quelque peu dans la vie sociale de cette époque, on est amené à penser que la justice des comtes mérovingiens et des rachimbourgs n’eut jamais une existence bien réelle. Qu’on lise les chroniques, et, sur une centaine de cas où cette justice devrait exercer une action impérieuse, c’est à peine si on la voit trois ou quatre fois se montrer. Les faits se déroulent presque toujours comme si elle n’existait pas. Il est douteux qu’elle ait jamais fonctionné avec régularité et avec vigueur ; il est certain en tout cas qu’elle eut peu de durée. Les raisons de cela s’aperçoivent bien. Il n’y avait pas assez d’accord entre la population et l’autorité publique pour qu’elles pussent concourir à l’œuvre difficile de juger les procès et les crimes. Les conflits devaient être perpétuels entre les rachimbourgs et le comte, comme ils l’étaient dans le plaid royal entre les grands et le roi. Ces tribunaux, au lieu de mettre la paix entre les hommes, étaient eux-mêmes des théâtres de querelles. Ajoutez que les lois étaient diverses suivant la naissance et la nationalité des hommes ; les juges d’un même tribunal n’avaient ni la même langue, ni les mêmes idées, ni la même législation. Il faut songer aussi au désordre moral de cette époque. L’autorité publique n’avait aucun des caractères qui attirent le respect des hommes : les rois donnaient l’exemple de tous les crimes ; leurs fonctionnaires avaient acheté leurs fonctions argent comptant, et prétendaient en faire trafic. La population ne valait guère mieux. Qu’on se figure la boue de l’em-