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sons d’abord les Prussiens, nous verrons après. Le danger que vous avez signalé existe néanmoins, il est sérieux, et nous le connaissions ; mais nos yeux veillent, et déjà depuis votre adresse une détermination a été prise, et ce qui choquait le plus dans l’administration de la guerre disparaîtra, parce que, comme vous, nous reconnaissons que la situation le commande. » Ces derniers mots étaient sans doute une allusion à la récente destitution d’un directeur au ministère de la guerre violemment accusé de bonapartisme par les démagogues. On voit sur quelle pente était la délégation. Elle ne sut pas s’arrêter, et céda à l’impulsion de son entourage. Jusqu’ici, un seul frein l’avait retenue, de l’aveu du garde des sceaux : le respect du gouvernement de Paris. Ces considérations furent bientôt mises de côté. Deux jours après le discours de M. Crémieux, le 25 décembre, la dissolution de tous les conseils-généraux et de tous les conseils d’arrondissement de France était décrétée : au lieu de convoquer de nouveau les électeurs, il était décidé que des commissions départementales seraient instituées par les préfets. Ainsi le gouvernement s’était opiniâtrement refusé à faire des élections législatives ou des élections municipales, sauf à Marseille et à Lyon. Il restait encore des assemblées qui étaient la représentation de la France, et malgré la sagesse, la soumission, l’empressement patriotique, qu’elles avaient partout montrés, elles furent brutalement dissoutes. C’était un parti-pris d’opprimer et d’évincer partout le suffrage universel. Il fallait briser les derniers obstacles que rencontrait l’arbitraire gouvernemental. Ce fut un cri de réprobation par toute la France. Cette administration, qui avait donné tant de preuves d’insuffisance politique, militaire et financière, ne voulait supporter aucun contrôle, si modeste, si réservé qu’il fût.

Les poursuites contre la presse et contre les personnes deviennent alors plus fréquentes. On défend l’entrée en France de deux journaux français publiés à l’étranger, l’un bonapartiste, l’autre présumé orléaniste. On saisit des brochures ; on arrête le rédacteur du journal la Province de Bordeaux, dont le propriétaire était M. Johnstone, ancien député. À Autun, M. Pinard, ancien ministre, est jeté sous les verrous, sans qu’il y ait d’autre charge contre lui que ses opinions. Dans le Maine-et-Loire et dans la Sarthe, les préfets augmentent encore la liste déjà longue des arrêtés excentriques rendus par les proconsuls de M. Gambetta. Un rédacteur de l’Union de la Sarthe est emprisonné et relâché au bout de dix jours en vertu d’une ordonnance de non-lieu. M. Engelhard, préfet de Maine-et-Loire, avec l’approbation de M. Gambetta, suspend pour deux mois le journal l’Union de l’Ouest d’Angers, qui avait protesté contre la dissolution des conseils-généraux. Ce préfet ne s’arrête pas en si