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beau chemin : du même coup, il supprime aussi le journal hebdomadaire l’Ami du peuple sans alléguer aucune charge à son endroit, si ce n’est qu’il appartenait au propriétaire de l’Union de l’Ouest. Malgré cette avalanche de mesures illégales, tous les partis en France gardaient le calme : ils se contentaient de protester contre ces violences ; mais ils ne sortirent pas un instant de cette conduite digne et patriotique.

Les attentats contre la paix publique devaient avoir une autre source. Les excentricités des clubs de Lyon allaient amener un résultat tragique. Après une réunion publique fort orageuse où les femmes se distinguèrent par leur civisme exalté, un chef de bataillon de la garde nationale de la Croix-Rousse, M. Arnaud, un républicain notoire, mais coupable d’avoir refusé de se joindre à une manifestation populaire, fut saisi par un groupe de démagogues, sommairement jugé par eux et immédiatement fusillé. Une foule considérable avait assisté sans mot dire à cet épouvantable forfait. M. Gambetta, qui était alors en tournée près des armées de Chanzy et de Bourbaki, se rendit à Lyon, et fit une proclamation où il annonçait à la France que le crime n’était imputable à aucun parti politique. Les réunions publiques furent désormais interdites dans le département du Rhône ; mais on ne put empêcher le drapeau rouge de continuer à flotter sur les murs de l’hôtel de ville.

Les derniers actes du gouvernement de Bordeaux sont connus de chacun. On a lu le décret qui destituait une vingtaine de magistrats, dont le premier président de la cour de cassation et quatre premiers présidens de cour d’appel, sous prétexte qu’il y a vingt ans ces fonctionnaires avaient fait partie des commissions mixtes instituées par Napoléon III. Pour faire exécuter cette mesure, les audiences de plusieurs cours et tribunaux furent indéfiniment suspendues, afin que les magistrats indûment révoqués ne pussent pas siéger. On a lu aussi le décret de M. Gambetta qui excluait tant de Français de l’éligibilité. — La France était profondément lasse de cette dictature incohérente et échevelée. Il était évident aux yeux de tous que le pouvoir ne se possédait plus lui-même, que nos gouvernans étaient emportés à la dérive par les passions révolutionnaires et les obsessions de leur entourage, qu’une vie pleine de fatigues, d’émotions douloureuses, de surexcitations de toute sorte, avait ébranlé leur sens moral. C’est la seule excuse qu’un esprit impartial puisse découvrir pour une telle série de violences. Cette fois, le pays sut se dérober à l’action de ses dictateurs. Un grand nombre de préfets refusèrent d’afficher ou d’exécuter leurs décrets. Le gouvernement de Paris, rendu libre, intervint. Les élections se firent sous l’influence d’une répulsion profonde pour les actes de M. Gambetta et de ses collègues. Ainsi la France était ballottée sans cesse de réac-