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avoir aucune idée claire. Il croit également que, dans la série des choses existantes, il y a des vides, des choses possibles n’existant point. La variation des espèces, dont il étudie plusieurs cas, lui semble réelle, non la transmutation : il est pour la variabilité limitée, c’est-à-dire qu’il admet dans une large mesure l’action des circonstances modificatrices sans aller jusqu’à croire qu’elles peuvent transformer l’espèce. En examinant les poissons et les plantes, dont les schistes de Halle portent l’empreinte, Leibniz reconnut pour la première fois dans ces vestiges non des jeux de la nature, mais des témoignages des révolutions du globe et de l’existence de faunes et de flores disparues. La Protogée, où cette grave question est spécialement approfondie, constitue le point de départ de la géologie et de la paléontologie modernes et de toutes les explications plutoniennes de la croûte terrestre. Werner, Hutton, Buffon et Cuvier se sont inspirés dans leurs travaux de l’ébauche de Leibniz.

Il infère que, s’il nous arrive souvent dans les sciences de ne pouvoir caractériser les différences, cela tient à ce que nous ne connaissons ni les petites parties, ni la structure intime des choses, c’est-à-dire les principes par où on peut rendre compte de leur nature fondamentale. Cette ignorance fait que nous devons juger conjecturalement de beaucoup de phénomènes dont la connaissance parfaite est réservée à l’avenir. Aussi fonde-t-il beaucoup d’espérances sur l’emploi du microscope et sur l’anatomie comparative (le mot est de lui), où il croit qu’on trouvera la confirmation de beaucoup de ses idées. Entre autres, il pressent positivement la nature et l’importance des spermatozoaires, quand il annonce qu’on découvrira dans le phénomène de la génération que l’un et l’autre sexe fournit quelque chose d’organisé. Et cette déclaration corrige, dans un sens fort juste, sa théorie de la préformation syngénétique des êtres ou de l’emboîtement des germes, d’après laquelle toutes les semences préexistent depuis l’origine du monde, enfermées dans celle du premier représentant de chaque espèce. Cette théorie, reconnue fausse par l’ensemble des observations embryogéniques, l’est justement parce que l’élément organisé du sexe mâle est indispensable à la formation de l’embryon.

C’est un problème difficile d’assigner les genres et les espèces dans les végétaux. Les botanistes du xviie siècle croyaient que les distinctions prises des formes de la fleur approchaient davantage de l’ordre naturel pour l’institution d’une classification. Leibniz pense qu’il serait juste de faire des comparaisons non-seulement d’après un seul caractère, comme celui de la fleur, et qui est peut-être le plus favorable à l’établissement d’un système commode, mais encore d’après les caractères des autres parties des plantes. Il propose