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ainsi le principe de la subordination des caractères comme une suite de ses idées sur l’harmonie des êtres.

Tous ces travaux, toutes ces hypothèses procèdent donc directement des conceptions métaphysiques de Leibniz sur le système des élémens du monde. Ce qui en procède plus directement encore, c’est l’invention du calcul infinitésimal. Quand ce calcul ne serait en lui-même qu’une sublime curiosité, ce serait déjà beaucoup d’avoir trouvé le moyen d’opérer sur les quantités infinies comme sur les finies. Heureusement ce genre de supputation a rencontré dans l’astronomie, la mécanique et la physique, des applications si fécondes que ces sciences en ont été renouvelées. C’est un nouvel instrument, un nouveau levier qui leur a été donné pour les plus hautes investigations. On voit à quel point Leibniz était familier avec les plus difficiles problèmes. Il est probable qu’une grande partie de ses travaux scientifiques est restée inédite. Nous ne connaissons guère par exemple ce qu’il a fait en médecine. Cependant Bossuet écrivait à Pellisson : « Ce que M. de Leibniz propose pour la perfection de la médecine est admirable[1]… »

III.

Quelle a été l’influence de la métaphysique de Leibniz dans les grandes élaborations de la science moderne, et d’abord dans celles du siècle dernier ? Il y a longtemps qu’on a dit que le xviiie siècle n’a pas eu de philosophie originale. En effet, il a vécu de doctrines empruntées. Il a eu entre autres une doctrine émanée de celle de Leibniz, et dont on peut dire que Diderot a été le véritable représentant. Au premier aspect, cet esprit exubérant et sans discipline paraît destitué des qualités de dogmatisme et de méthode qui font proprement le philosophe ; mais, si l’on y regarde de près, on s’aperçoit que lui seul a développé un système précis et arrêté où les idées de Leibniz ont une grande place, et où domine le principe du dynamisme, l’idée des forces-mères. Dans l’Interprétation de la nature, le Rêve de d’Alembert et les Principes philosophiques sur la matière et le mouvement, Diderot se montre pur disciple du penseur de Hanovre, disciple même un peu exalté, puisqu’il va jusqu’à écrire que Leibniz à lui seul fait autant d’honneur à l’Allemagne que Platon, Aristote et Archimède en font ensemble à la Grèce. Le naturalisme de Diderot, empreint d’un large sentiment des activités de la substance, est aussi dans la pensée de Charles Bonnet, de Buffon, de Bordeu, de Barthez et d’autres savans de la même époque. Il a inspiré alors toute une école de chercheurs et de philosophes, dont

  1. Œuvres inédites de Leibniz, publiées par M. Foucher de Careil, t. Ier, p. 344.