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les uns trouvaient trop de négations dans celle de Hume, et les autres trop d’analyses dans le système de Condillac.

Buffon, comme Leibniz, voit dans la nature des plans combinés, des rapports suivis, des faits assortis, des fins partout prévues, s’ordonnant conformément à une suprême convenance. Les molécules organiques et les forces pénétrantes (immanentes), qui, selon lui, constituent la vie, et passent de moule en moule pour la perpétuer, sont les monades mêmes de Leibniz. Les grandes idées développées dans les Époques de la nature, et qui ont eu, bien que parfois contestables, une si réelle influence sur les progrès ultérieurs de la géologie, sont empruntées pour la plupart à la Protogée. La physiologie générale de Buffon ne se rapproche pas moins de celle que Leibniz avait professée. Il en est de même de celle de deux de ses célèbres contemporains. Barthez et Bordeu, s’élevant à la fois contre le géométrisme cartésien, étendu abusivement aux phénomènes de la vie, et contre l’analysme à outrance, préconisé par Condillac et appliqué par ses disciples, établissent les forces vitales dans leur resplendissante autonomie et leur irréductible simplicité. Ils exagèrent sans doute le défaut des explications mécaniques et le danger de l’analyse, et il ne faudrait pas croire que la science ultérieure leur a toujours donné raison. Du moins elle les a confirmés dans l’opinion leibnizienne et anticartésienne qu’ils soutenaient, à savoir que la vie est une force supérieure qui implique les inférieures sans en dépendre, que l’organisme est un système d’énergie où tout ne se fait pas mécaniquement, que les forces qui agissent dans les animaux sont au fond analogues à celles qui agissent dans l’homme, et que toutes, consubstantielles à la matière organisée, ne peuvent se déterminer qu’en elle et par elle. C’est ainsi que ces deux grands médecins ont détruit en même temps l’iatromécanique de Boerhaave et l’animisme de Stahl, et préparé la voie à Bichat. La même science moderne ne vérifie pas complètement non plus les conjectures hasardées de Charles Bonnet, de Telliamed, et plus tard de Delaméthérie et de Lamarck, sur l’enchaînement des êtres, l’origine et la transformation des espèces, conjectures dont Leibniz avait fourni une discrète ébauche ; mais il serait injuste de ne pas reconnaître qu’une vive impulsion a été donnée par là aux recherches zoologiques.

Vicq-d’Azyr et les autres anatomistes qui commencent l’anatomie comparée et recherchent les rapports harmoniques, les connexions diverses, les balancemens dynamiques des organes, sont fidèles aussi aux conceptions de Leibniz sur les desseins de la nature. Goethe, qui professait tant d’estime pour Diderot, se montre disciple de Leibniz autant que de Spinoza non-seulement dans ses travaux d’anatomie comparée, où il établit les symétries cachées des