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Le moyen, il n’existait plus ; on sentait bien que ce ne serait désormais qu’une lutte inégale et sans espoir, que la France souffrait d’une désorganisation profonde, d’une désorganisation morale autant que matérielle, que prolonger la guerre dans de telles conditions c’était aller au-devant d’inévitables désastres dont on ne pouvait plus mesurer l’étendue. L’ennemi, cet ennemi que nous connaissons, aurait certainement exécuté jusqu’au bout son programme ; il serait allé partout, comme il le disait ; il n’aurait pas conquis la France sans doute, il l’aurait ravagée, pressurée, épuisée. On l’aurait combattu encore, on n’aurait pas pu l’arrêter dans son œuvre de dévastation méthodique, et le pays tout entier serait resté livré à l’invasion meurtrière, sans pouvoir sauver les malheureuses provinces pour lesquelles il eût bravé ces suprêmes extrémités. M. Thiers a eu le courage de le dire, de montrer que la guerre ne pouvait plus désormais qu’aggraver les malheurs de la France. Il a eu ce courage de prendre pour tous la cruelle responsabilité d’une paix nécessaire, et en le voyant, ému, mais toujours ferme, accepter cette incomparable épreuve, s’efforcer jusqu’au bout de sauver l’avenir de la France au prix du plus douloureux sacrifice, on se souvenait involontairement de cette séance du corps législatif où il prodiguait les avertissemens inutiles, où il était obligé de subir les colères, les outrages d’une majorité qui allait jusqu’à mettre en doute son patriotisme, et où, saisi d’une sorte de pressentiment prophétique devant tant de fureurs, il s’écriait avec une tristesse fière : « Offensez-moi, insultez-moi, je suis prêt à vous subir pour défendre le sang de mes concitoyens que vous êtes prêts à verser si imprudemment… Quant à moi, je suis tranquille pour ma mémoire, je suis sûr de ce qui lui est réservé pour l’acte auquel je me livre en ce moment ; mais pour vous je suis certain qu’il y aura des jours où vous regretterez votre précipitation… » Ces jours sont malheureusement venus. Il y a huit mois, M. Thiers était la clairvoyance patriotique, aujourd’hui il a été l’abnégation et le dévoûment, venant réparer les fautes des autres, autant que ces fautes peuvent être réparées. C’est justement ce qui donnait une émouvante autorité à la parole de M. Thiers, lorsque dans cette terrible séance du 1er mars il suppliait l’assemblée de ne point céder à des illusions nouvelles, d’avoir le courage du bon sens, le courage de regarder en face une situation dont elle n’était pas coupable, mais devant laquelle on n’avait pas le droit de reculer. Il ne manquait plus à cette scène, pour lui donner tout son caractère, qu’une sorte d’apparition du vrai coupable, de l’empire, se montrant tout à coup sous la figure d’un des serviteurs intimes du dernier empereur, et venant presque réclamer ses droits. L’empire a eu peur sans doute d’être oublié, il a voulu, lui aussi, protester ; on lui a répondu en proclamant sa déchéance définitive, en le laissant enseveli sous les ruines accumulées par son imprévoyance ; sa condamnation, c’était cette paix