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même qu’on subissait, qui était le déplorable fruit de sa politique, qui allait infliger à la France cette poignante séparation des députés de l’Alsace, protestant jusqu’à la dernière minute de leur inviolable attachement à la nationalité française.

Tout se réunissait dans cette discussion haletante, dans ce drame du patriotisme aux prises avec l’impossible, le deuil qui était dans les cœurs, le sentiment d’une nécessité inexorable, la dernière convulsion d’un empire tombé dans la honte, le maire de Strasbourg mourant de douleur, M. Keller quittant l’assemblée avec ses collègues en s’écriant que rien au monde n’empêchera les Alsaciens d’être Français, en faisant appel « à Dieu vengeur des justes causes,… à tous les peuples, qui ne peuvent pas indéfiniment se laisser vendre comme un vil bétail, à l’épée de tous les gens de cœur, qui, le plus tôt possible, déchireront le détestable traité ! » Détestable et inévitable, voilà le mot. Et pendant ce temps, pendant qu’on discutait à Bordeaux cette question de vie ou de mort pour la France, Paris subissait La dernière épreuve ou le dernier outrage. Les Allemands entraient dans la grande cité frémissante et en quelque sorte hérissée dans son deuil. À dire vrai, on ne voit pas bien quel genre de gloire les chefs de l’état-major prussien ont cherché dans cette entrée subreptice, équivoque et limitée, ce qu’ils ont trouvé de flatteur dans cette occupation assez mesquine d’une avenue de la ville. Les soldats du roi Guillaume se sont promenés au nombre de 30,000 dans les Champs-Élysées, et après ? La ville est restée fermée devant eux ; on aurait dit qu’ils se sentaient eux-mêmes étonnés de leur action. Non, décidément, ces conquérans ne sont pas encore accoutumés à leurs triomphes ; ils ne savent être ni audacieux jusqu’au bout, ni généreux pour le vaincu. Ils ont infligé à Paris cette injure d’une occupation sournoise, sans se donner une bien éclatante satisfaction d’orgueil. Ils peuvent aller faire leur entrée triomphale à Berlin, ils n’ont eu assurément rien de semblable à Paris, et pour une démonstration vaine, presque humiliante pour eux-mêmes, ils ont bravé le péril de pousser au désespoir une ville sur laquelle leurs armes n’avaient aucun droit, qu’ils auraient dû se faire honneur de respecter ; ils ont empoisonné d’une dernière et inutile amertume cette paix déjà si amère et si dure, à laquelle le patriotisme français avait bien assez de peine à se soumettre, et que M. Thiers a caractérisée justement en disant que souvent la victoire n’était pas plus sensée que la défaite.

Elle est donc maintenait entrée dans l’histoire comme un fait accompli et subi, cette impitoyable paix qui n’offre à notre fierté qu’une dernière compensation, c’est que la puissance de notre malheureux pays s’y révèle encore à la crainte de l’ennemi, aux efforts qu’il fait pour nous affaiblir, aux précautions qu’il multiplie contre un réveil qu’il redoute visiblement. Les préliminaires signés à Versailles et ratifiés à Bor-