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Ici tout se passera en douceur comme de coutume, mais la liste républicaine aura si peu de voix que le parti Gambetta paiera cher la faute de son chef. Il y a là des noms aimés ; mais, pour défendre le système qu’ils s’obstinent à représenter, il faudrait fausser sa propre conscience, et peu de gens estimables s’y décideront. Il y en aura pourtant ; il y a toujours des politiques purs qui font bon marché de leurs scrupules et de leurs répugnances pour obéir à un système convenu ; c’est même cela qu’ils appellent la conduite politique. J’avoue que j’ai toujours eu de l’aversion pour cette stratégie de transaction.

Dans sa proclamation dernière, M. Gambetta disait en finissant une parole énigmatique. « Pour atteindre ce but sacré (la guerre à outrance représentée par le choix des candidats), il faut y dévouer nos cœurs, nos volontés, notre vie, et, sacrifice difficile peut-être, laisser là nos préférences. Aux armes ! aux armes ! etc. »

Le parti entend sans doute son chef à demi-mot. Pour nous, simples mortels sans malice, nous nous posons des questions devant le texte mystérieux. Ne serait-ce pas l’annonce d’une évolution politique comme celle de ces républicains du midi qui m’écrivaient hier : « Devant l’ennemi du suffrage universel, nous passerons à l’ennemi de l’ennemi ! » M. Gambetta, passant à l’alliance avec les rouges qu’il a contenus jusqu’ici dans les villes agitées par eux, serait plus logique ; jusqu’ici ses préférences ont été pour ses confrères de Paris qui lui ont confié nos destinées, faisant en cela, selon nous, acte d’énorme légèreté. A présent, le dictateur va sans doute donner sa confiance et son appui aux ennemis d’hier, et je ne vois pas pourquoi ils ne s’entendraient pas, puisqu’ils sont aussi friands que lui de dictature et de coups d’état.

5 février.

Ni lettres, ni journaux pour personne ; on est en si grande défiance qu’on croit ce silence commandé. On s’inquiète de ce qui se passe à Bordeaux entre Jules Simon et la dictature.

6.

Pas plus de nouvelles qu’hier ; nous n’avons que les journaux d’avant-hier, qui disent que l’armistice, mal réglé ou mal compris, a amené de nouveaux malheurs pour nos troupes. Nous sommes inquiets d’une partie de nos mobilisés qui a été conduite au feu, comme nous le redoutons, sans avoir appris à tenir un fusil, et qui s’est trouvée à l’affaire de la reprise du faubourg de Blois. Ils s’y sont jetés comme des fous, traversant la Loire en désordre sur un pont miné, tombant dans la rivière, sortant de là en riant pour aller droit aux Prussiens embusqués dans les maisons, tirant au hasard leurs mauvais fusils qui éclataient dans leurs mains, et vers