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le soir se tuant les uns les autres faute de se reconnaître et faute de direction. Le lendemain, nos pauvres enfans étaient cernés ; la retraite leur était absolument coupée, et ils attendaient l’écrasement final lorsque, après six heures d’attente dans la boue, l’arme au pied, leur colonel fut obligé de leur laisser connaître l’armistice, mais en leur déclarant qu’il ne l’acceptait pas. Si Gambetta dure, ce colonel intelligent sera décoré ou général. — Avec de tels chefs, l’épuisement désiré ira vite, et le pouvoir de ceux qui sacrifient ainsi la jeunesse d’un pays ne sera pas d’aussi longue durée qu’ils l’espèrent.

Mardi 7 février.

On raconte enfin la lutte entre Jules Simon et M. Gambetta ; elle a été vive, et tous les journaux qui se sont permis de publier le décret du gouvernement de Paris relatif à la liberté des élections ont été saisis à Bordeaux. Le coup d’état est complet !

Une lettre nous apprend ce soir que Jules Simon l’emporte, qu’il a dû montrer une fermeté qui n’a pas été sans péril pour lui, que M. Gambetta se décide à donner sa démission, et que le décret de Paris qui annule le sien sera publié demain

Demain ! c’est le jour du vote ! On aura commencé à voter, et dans beaucoup de localités on aura fini de voter sans savoir qu’on est libre de choisir son candidat ; mais en revanche les préfets en fonctions pourront être élus dans les localités qu’ils administrent encore. On promène déjà partout des listes officielles qu’on appelle listes républicaines. Ainsi le premier appel au peuple fait par cette république-là aura suivi la forme impériale et admis des incompatibilités inconnues sous l’empire. C’est une honte ! mais qu’elle retombe sur ceux qui l’acceptent !

Rendons justice au gouvernement de Paris, il a fait cette fois son devoir autant qu’il l’a pu, et oublions vite ce mauvais rêve d’un coup de dictature avorté. Le vote sera libre quand même, grâce à la ferme volonté que montrent les masses d’exercer leur droit dans toute son étendue.

Il y a ici diverses listes de conciliation qui ne nuiront pas à la principale, la liste dite libérale, celle de la paix, comme l’appellent les paysans. L’autre, c’est celle de la guerre. Ils ne s’y tromperont pas.

Aucun symptôme de bonapartisme ni de cléricalisme dans les esprits autour de nous. Je ne connais aucun des candidats qui représentent pour eux le vote pour la paix ; je vis cloîtrée, je ne vois même presque jamais les paysans de la nouvelle génération.

Ils ont beaucoup grandi en fierté et en bien-être, ces paysans de vingt à quarante ans ; ils ne demandent jamais rien. Quand on les