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la ville de Versailles. Cependant son sort était digne d’envie, si on le compare à celui des campagnes.

Dès les derniers jours de septembre, on vit arriver de tous les villages envahis des bandes de fugitifs chassés de leurs maisons, mourant de faim, à demi nus, escortés comme des prisonniers par des piquets de soldats, la baïonnette au bout du fusil. À Bellevue, des vieillards infirmes avaient été jetés à bas de leur lit et poussés dehors à coups de crosse ; à Saint-Cloud, des malades, des femmes en couches, avaient été forcés de se lever et de faire 2 lieues à pied, sous la pluie, à dix heures du soir. Les Allemands faisaient le vide autour d’eux ; ils éloignaient les témoins. Nous avons pu, dans le courant du mois d’octobre, visiter une partie des villages compris dans la zone des opérations du siège entre Villeneuve-Saint-George, Versailles et Saint-Germain. Les Allemands ne les occupaient que depuis quelques semaines, et déjà la ruine était complète, le pillage était organisé avec une barbarie méthodique, inspirée moins encore par la haine nationale que par l’éternelle envie du pauvre contre le riche, des races nées sous les brumes du nord, dans ces plaines de sable d’où sortirent autrefois les Vandales, contre les nations heureuses à qui sourit le soleil. — « Vous êtes trop riches, disait un officier allemand ; en comparaison de la France, nous sommes un peuple de mendians. » Le mendiant qui peut-être était venu nous demander du pain se vengeait en ravageant le sol qui l’avait nourri. La guerre a ses nécessités ; mais ici la dévastation n’était pas une nécessité, c’était un système. Les portes et les fenêtres arrachées de leurs gonds, les planches des parquets soulevées, fendues et empilées en attendant qu’on les jetât au feu, les meubles réduits en poussière et jonchant les rues de leurs débris, le marbre des cheminées brisé à coups de crosse, les glaces broyées sous les talons de bottes, des jouets d’enfans déchiquetés à coups de sabre, des robes de femme déchirées et traînées dans la boue, les lampes, la vaisselle, les ustensiles de ménage semés dans les champs, les salons transformés en écuries, tandis que les écuries restaient vides, les cartes et les livres des écoles lacérés et jetés au vent, tel était l’aspect que présentait dès la première quinzaine d’octobre toute la zone occupée dans un rayon de 20 kilomètres autour de Paris. Quant aux objets de quelque valeur, bronzes, tableaux, livres, pianos, les officiers prélevaient leur part de butin qu’ils expédiaient en Allemagne, et le reste était vendu à vil prix aux marchands juifs qui suivaient l’armée.

Les propriétés abandonnées avaient été saccagées les premières ; les maisons habitées le furent quelques jours après, et il serait facile de compter celles que la présence des propriétaires pré-