Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/492

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serva à demi du sort commun. Ce qui donnait au pillage son véritable caractère, c’est que le soldat semblait n’être dans cette œuvre de destruction qu’un instrument passif et quelquefois honteux de la consigne qu’il exécutait. Partout les officiers se montrèrent les plus âpres à la curée, ou autorisèrent du moins par leur silence ce que bien peu auraient rougi d’encourager par leur exemple. Malgré les précautions prussiennes, ces déprédations niées avec tant d’impudence n’échapperont pas au grand jour de la publicité. On sait quels sont les officiers supérieurs du 47e et du 58e qui, à Ville-d’Avray, faisaient vider les caves et emballer les pianos sous les yeux des propriétaires, briser et souiller d’ordures le buste de M. Corot, après avoir dévasté sa maison, qui cependant était habitée ; on sait quels sont les gentilshommes qui ont volé l’argenterie dans la propriété de MMe Furtado, à Rocquencourt ; on sait à quelle famille appartient l’officier qui, après avoir fait main basse sur les statuettes et les objets d’art au château de Chambourcy, invitait ses amis à faire leur choix et à emporter un souvenir de la campagne de France ; on sait d’où venaient les charitables diaconesses qui, le 8 décembre, dans l’ambulance de la Queue-en-Brie, jetaient au feu les tableaux et les chaises, tandis que les cours étaient pleines de bois sec. Je laisse aux victimes et aux témoins oculaires la satisfaction de dénoncer les coupables ; mais à Versailles même, où le Moniteur de Seine-et-Oise protestait avec indignation contre les calomnies de la presse française, où tant de correspondans étrangers couvraient de leur silence ce qu’ils ne pouvaient ignorer, où un Anglais, que je ne nommerai point par égard pour quelques-uns de ses compatriotes, osait écrire : « J’ai visité les environs de Paris, et j’affirme que partout la propriété privée est respectée, » — à Versailles, séjour du roi et de la foule des autorités civiles et militaires, j’ai vu un officier d’intendance, M. Ursel, enlever sans ordre, sans réquisition, dans des maisons particulières, les lits, les matelas, les couvertures, jusqu’aux serviettes et aux mouchoirs de poche, qui disparurent sans retour. Le fait fut signalé au commandant de place, au général comte de Voigts-Rhetz ; il se contenta de hausser les épaules et de répondre : « Qu’importe ? cet homme nous est utile ; il a vécu à Paris et sait le français ! » J’ai vu un prince du sang royal s’emparer d’une voiture enlevée par le bon plaisir d’un aide-de-camp, au château de la Celle-Saint-Cloud, et y promener pendant trois mois son désœuvrement sous les yeux de la légitime propriétaire, sans daigner lui demander son assentiment. J’ai vu les généraux et les princes s’offrir mutuellement comme cadeau de Noël les vases de Sèvres, les objets d’art pillés au château de Saint-Cloud, dont la destruction, commencée par nos obus, fut