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se mêlent celles des mitrailleuses et de l’artillerie de campagne ; la fusillade s’allume dans les bois depuis les hauteurs de Vaucresson jusqu’aux bords de la Seine. C’était une sortie, la première, depuis un mois de siège, qui parût se diriger du côté de Versailles ! Les Prussiens, contre leur ordinaire, paraissaient surpris ; des estafettes parcouraient les rues à toute bride, les trompettes sonnaient l’alarme ; les officiers, effarés, couraient rejoindre leurs corps ; les batteries, à peine attelées, partaient au galop : les régimens cantonnés à Versailles et à Viroflay se dirigeaient au pas de course par détachemens de 200 ou 300 hommes vers le théâtre de l’action. À deux heures, le Mont-Valérien cessa de tonner : l’artillerie de campagne redoublait son feu ; la fusillade éclatait plus voisine et plus nourrie. Le roi, escorté d’une nombreuse cavalerie, venait de partir pour les arcades de Marly, d’où l’on pouvait sans danger suivre la marche de la bataille, et se retirer au besoin par la route de Saint-Germain. La panique était à son comble. À l’hôtel des Réservoirs, rendez-vous de cette foule titrée et chamarrée que les soldats désignent sous le nom d’Armée buhler[1], à l’état-major général, à l’hôtel de M. de Bismarck, des fourgons attelés à la hâte recevaient pêle-mêle les cartes, les malles et les liasses de papiers. À la préfecture, on déménageait les appartemens du roi et on entassait dans des voitures de réquisition les bagages et jusqu’aux tiroirs des meubles pleins de linge et d’effets. La population de Versailles, électrisée par le bruit du canon, s’était répandue dans les rues. Des groupes menaçans poursuivaient de leurs huées les patrouilles de cavalerie qui sillonnaient la ville le sabre au poing ; on croyait déjà entendre nos clairons sonnant la charge et les hurrahs de nos soldats ; mais peu à peu les bruits de la bataille s’éloignèrent, la voix du Mont-Valérien domina de nouveau la fusillade ; le roi rentrait avec son escorte. C’était un espoir trompé. Vers le soir, les ambulances versaillaises ramenèrent quelques-uns de nos blessés ; ils nous apprirent que 6,000 hommes à peine avaient été engagés de notre côté. C’était là ce qui avait jeté l’épouvante au quartier-général et failli faire une trouée dans les lignes prussiennes !

Le lendemain, dès la pointe du jour, le champ de bataille de la veille était déjà disposé avec cet art de mise en scène qu’il serait injuste de méconnaître chez nos adversaires. Les blessés et les morts prussiens avaient disparu. Les soldats chargés de cette besogne n’avaient oublié qu’une dizaine de cadavres épars dans les vignes et portant l’uniforme de la landwehr de la garde, cette précieuse réserve qu’on ménageait d’ordinaire avec un soin si jaloux. Nos morts

  1. Muguets d’armée.