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étaient restés au contraire dans les jardins de la Malmaison, sur les coteaux, dans les chemins creux, à la place où les avaient frappés les balles ennemies, et malheureusement aussi des éclats d’obus qui ne leur étaient pas destinés, et qui pleuvaient du Mont-Valérien sur les positions qu’ils attaquaient. Nos blessés, ceux du moins qui avaient été relevés, étaient entassés dans une villa aux bords de la Seine, couchés sur des matelas, sur des canapés, sur un billard ruisselant de sang, et qui avait servi de table d’amputation. L’un d’eux, un jeune homme de dix-huit ans, les yeux éteints et la poitrine trouée par une balle, avait passé la nuit assis sur un coffre à bois, et adossé contre la muraille. Il voulait se lever et marcher ; deux jours après, il était mort. Dans une chambre, où le parquet était jonché de livres et de jouets mêlés à des gibernes et à des paquets de cartouches, était couché un zouave, la tête fracassée, et enveloppé dans des rideaux de mousseline blanche. Il avait pour oreiller une poupée dont la perruque blonde, coagulée par le sang, s’était collée aux cheveux grisonnans du vieux soldat. Quand les habitans des environs de Paris rentreront dans leurs demeures dévastées, sauront-ils jamais ce que ces murs troués par la mitraille, ces parquets tachés de sang, pourraient leur raconter de lugubres histoires et de drames ignorés ?

La sortie du 21 octobre eut du moins un résultat : l’état-major avait eu peur, il s’en vengea sur les témoins de la panique. Une affiche enjoignit aux habitans de Versailles de rentrer chez eux aux premiers sons de la trompette d’alarme, et autorisa les soldats à employer la force en cas de désobéissance. Cette échauffourée, qui avait coûté aux Prussiens plus de 1,200 hommes, n’avait pas contribué à relever le moral de l’armée, bien nourrie et bien logée à nos dépens, mais abattue par les maladies, et surtout par la longueur du siège, qui dépassait déjà toutes les prévisions du soldat, et qui commençait à inquiéter même les chefs. On avait compté sur la famine et sur la révolution. La révolution se faisait attendre. L’imagination prussienne avait découvert, il est vrai, du haut de l’observatoire de Châtillon, des combats dans Paris : on avait vu le fort de Nogent tirer sur la ville et le drapeau rouge flotter sur les édifices ; mais ces vagues rumeurs se dissipaient d’elles-mêmes. Dans les journaux de Paris, que l’état-major se procurait assez régulièrement, rien n’annonçait que les vivres fussent épuisés, et d’après les rapports des espions on devait se résigner à proroger au 1er décembre cette échéance de la famine que l’on avait fixée d’abord au 15 novembre. Le bombardement, déjà réclamé avec impatience par la presse allemande, était impossible. Les batteries étaient prêtes ; il ne manquait plus que les canons et les munitions.