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La destruction du souterrain de Nanteuil, la seule peut-être où l’importance du résultat ait égalé celle du sacrifice, avait forcé les Allemands à construire une ligne de raccordement qui était à peine achevée. Il avait fallu amener les munitions de Nanteuil et plus tard de Lagny, atteler jusqu’à trente chevaux aux pièces de 24, et faire passer une partie de ce lourd matériel sur le pont de charpente de Villeneuve-Saint-George pour le concentrer dans la plaine de Villacoublay, où s’amassait lentement le grand parc de la rive gauche.

La ligne de l’Est, qui s’arrêtait à Lagny, était alors le seul chemin de fer dont les Allemands pussent faire usage. Ce ne fut que dans le courant de novembre et de décembre que la capture de quelques machines et d’un certain nombre de wagons de marchandises à Dreux et à la gare d’Orléans leur permit de faire circuler des trains sur les lignes d’Orléans et de Chartres. Deux ou trois locomobiles leur servirent aussi à traîner quelques pièces ; mais tout cela était bien loin de ce fameux chemin de fer circulaire dont parlaient nos journaux, et qui n’exista jamais même à l’état de projet. Pour comble d’embarras, l’armée de la Loire, que les généraux prussiens jugeaient hors de combat depuis l’affaire de Chevilly et l’occupation d’Orléans, se reformait avec une rapidité menaçante : la situation pouvait devenir critique. Malheureusement la Prusse tenait en réserve une de ces surprises qui ne lui manquèrent jamais depuis Wissembourg : le 28 octobre, une affiche officielle annonçait la capitulation de Metz. Ce fut un coup de foudre. Peu de jours auparavant circulaient de sourdes rumeurs sur une grande sortie du maréchal Bazaine : on parlait de convois enlevés, d’une feinte qui avait attiré l’ennemi vers Thionville, tandis que le gros de l’armée, ayant traversé ses lignes, marchait victorieusement sur Nancy. On se rattachait à ces illusions avec une ténacité désespérée ; on accusait le gouvernement prussien d’imposture : le patriotisme indigné ne voulait pas admettre qu’une armée de 160,000 hommes eût pu déposer les armes. Ceux-là mêmes s’efforçaient d’en douter qui avaient trop de raisons pour y croire.

Ce fut au milieu de cette lutte des illusions patriotiques contre l’évidence que M. Thiers arriva à Versailles. On connaît ses entrevues avec M. de Bismarck, les obstacles apportés à la conclusion de l’armistice par les exigences de l’état-major et par la journée du 31 octobre, dont les militaires et le premier ministre lui-même s’exagéraient volontiers la portée. Le départ de M. Thiers fut un triomphe pour le parti militaire, qui mit le comble à ses procédés soldatesques en retenant prisonnier pendant trois jours M. Cochery, ancien député du Loiret, qui l’avait accompagné ; mais ce triomphe ne fut pas long. Dès le 9 novembre, il était facile de remarquer des