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gnation générale sur l’ensemble de la production ; si celle-ci est de 20 milliards, et si l’impôt s’élève à 500 millions, l’assignation est de 1 quarantième. Tous les revenus, de quelque nature qu’ils soient, seront diminués d’autant, aussi bien les salaires que les profits industriels, que les rentes, car tous dérivent de la même source, qui est cette production, et sont formés par elle. L’impôt de consommation est donc le plus égal de tous les impôts, et cette égalité provient, non pas de la volonté du législateur, mais, ce qui vaut mieux, de la force des choses.

On a quelquefois conseillé, pour dégrever les objets de première nécessité, de frapper particulièrement les objets de luxe. On a pensé qu’un impôt de ce genre serait tout à fait à l’adresse des riches, et qu’il n’atteindrait que le superflu ; c’est encore une erreur. Supposez qu’on établisse une taxe sur les chevaux et les voitures de luxe, comme on a essayé de le faire il y a quelques années, il arrivera de deux choses l’une : ou ceux sur qui la taxe tombera consentiront à la payer en conservant la même quantité de chevaux et de voitures, et alors ils se restreindront sur d’autres choses, ils consommeront moins de vin, moins de sucre, moins d’étoffe de diverses sortes, etc., de sorte que, si la taxe rapporte 20 millions, ce sera 20 millions d’enlevés à la consommation générale, partant à la production, ce qui réagira nécessairement sur les salaires et les fera baisser ; — ou bien les personnes qui auront à subir ces taxes de luxe réduiront le nombre de leurs voitures et de leurs chevaux, alors voilà deux industries atteintes, celle de la construction des voitures et celle de l’élevage des chevaux, auquel cas, les ouvriers et les patrons de ces industries, gagnant moins, consommeront moins, et exerceront à leur tour sur la production générale l’influence fâcheuse dont nous venons de parler. Il y a plus : l’élevage des chevaux et la construction des voitures donnant moins de travail et offrant moins de bénéfices, on les quittera pour se porter ailleurs, et on fera concurrence aux salaires et aux profits des autres industries. De cette façon tout le monde se trouvera atteint par une mesure qui ne devait frapper que les riches, tant il est vrai qu’il y a une solidarité étroite, absolue, entre les diverses branches de l’activité sociale, et qu’on ne peut en affaiblir une sans compromettre également les autres. C’est comme un réservoir où l’on viendrait prendre de l’eau ; le vide qui se ferait momentanément à l’endroit où l’on puiserait ne tarderait pas à être comblé, et la diminution du niveau serait la même partout. On se figure qu’en supprimant les taxes de consommation on améliorerait la situation de l’ouvrier. Oui peut-être, si l’on se bornait à les supprimer sans chercher de compensation ; mais si on devait demander cette com-