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que la situation faite à notre patrie semblait et aurait dû rendre impossibles, nous parcourions une des plus belles contrées de la France, une des moins éprouvées, il est vrai. Partout la vie renaissait, le travail reprenait son essor, la terre s’ouvrait sous les premiers rayons du soleil, promettant la fécondité, la sève éclatait énergique et abondante ; dans toutes les classes, dans tous les rangs, il n’y avait qu’un désir, un sentiment, le besoin du repos et de la paix poussé jusqu’à l’impatience, et nous nous disions que malgré ses épreuves, malgré le fardeau qui l’accable, ce pays se remettrait bien vite. Que lui fallait-il ? Justement ce qu’il demande et ce qu’on lui refuse, la paix, la liberté dans le calme. Il avait besoin qu’on le laissât respirer et reprendre haleine à travers toutes les agitations. Il lui fallait un peu de temps pour retrouver ses forces, pour se remettre an travail, pour se réorganiser et développer ses ressources ; il lui fallait encore et surtout un grand esprit d’union, l’accord de toutes les intelligences et de toutes les volontés, un sentiment viril du devoir, une émulation universelle de bien public. Alors la France vaincue, mutilée et rançonnée, n’eût point tardé à se relever plus vivace et plus puissante, retrempée et rajeunie en quelque sorte par le malheur ; elle eût cessé bientôt d’exciter la pitié du monde pour redevenir ce qu’elle a été, la nation initiatrice, toujours la première en marche dans les voies de la civilisation ; elle serait sortie de cette effroyable crise affranchie du despotisme qui l’avait mise à mal, éclairée et fortifiée. Tout cela était possible, si nous l’avions voulu, si le patriotisme était resté pour tous l’unique et souveraine inspiration, si on n’avait songé qu’à la France, à son deuil, à son passé, à son avenir.

Eh bien ! non, toutes les espérances du pays ont été trompées, tous les besoins ont été méconnus ; les souffrances qu’il a endurées depuis sept mois n’étaient rien en comparaison de celles qu’on lui préparait. Au lieu de cette pacification féconde et générale, qui était dans ses vœux, qui était la première nécessité de sa situation, c’est la confusion qu’on a déchaînée. Nous en sommes là, il y a déjà près de deux semaines. Le gouvernement a été obligé de quitter Paris, impuissant, à vaincre l’insurrection qui se dressait devant lui. Gouvernement et assemblée se sont retranchés à Versailles avec l’armée, avec toutes les administrations. Un pouvoir nouveau s’est formé et s’est installé à l’Hôtel de Ville sous le titre de Comité central de la garde nationale, avec l’ambition de préparer le règne de la commune. Pendant ce temps, la grande cité du siège et des luttes contre les Prussiens s’est trouvée tout d’un coup livrée à elle-même, ne sachant plus ni où elle en était, ni où elle allait. Depuis près de quinze jours, les choses se passent ainsi ; l’assemblée nationale et le gouvernement qu’elle a nommé restent à Versailles la représentation légale et souveraine de la France. Le comité, transporté de Montmartre à l’Hôtel de Ville, règne et gouverne dans les