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murs de Paris ; il fait des élections pour la commune, et dispose d’un certain nombre de bataillons de la garde nationale, qui lui obéissent, tandis que d’autres bataillons et la masse de la ville ne reconnaissent que les pouvoirs qui sont à Versailles. Où tout cela peut-il conduire ? Ce qui est certain, c’est que, sans parler des collisions sanglantes qui ont rougi le pavé des rues, et qui étaient tristement inévitables, sans parler même de l’arrestation momentanée du général Chanzy, heureusement mis en liberté depuis, le mouvement du 18 mars a commencé par un effroyable meurtre, par l’exécution sommaire et implacable de deux hommes qui ont été les premières victimes de l’insurrection. Qu’avaient fait ces deux hommes, le général Lecomte et le général Clément Thomas ? L’un était un vieux soldat qui venait de faire son devoir contre l’ennemi, qui n’avait jamais figuré dans les répressions parisiennes ; l’autre avait dignement commandé la garde nationale pendant tout le siège, et c’était certes un républicain de vieille date. Tous les deux, ils ont été fusillés sans pitié dans un recoin isolé, dans un jardin de Montmartre, et ceux qui ont accompli l’œuvre sinistre ne se sont pas doutés qu’ils marquaient à jamais cette insurrection dont ils étaient les obscurs instrumens de cette tache indélébile d’un sang innocent versé dans un moment d’inhumaine fureur. Voilà pourtant où conduisent les passions de guerre civile, et ce qui a pu arriver dans ce Paris qui n’a connu durant cinq mois que les viriles et généreuses émotions de la lutte contre l’ennemi étranger. C’est le triste prologue de ce drame insurrectionnel qui a commencé par une échauffourée sanglante et qui finit par une révolte ouverte contre la loi, par la négation, de la souveraineté populaire personnifiée dans l’assemblée, et qui n’a eu jusqu’ici d’autre résultat que de paralyser en quelque sorte la vie nationale, de mettre tout en question.

Comment de tels faits ont-ils été possibles ? comment la garde nationale a-t-elle pu être enlevée aux pouvoirs légaux dans un moment de confusion, et que peut-il sortir maintenant de cette étrange crise où l’on s’est laissé engager sans savoir où l’on allait ? Ce qui est évident, c’est que nous marchons dans l’inconnu et dans l’aventure, traînés par des gens qui ne savent pas mieux que nous où ils nous conduisent, et qui n’ont pas moins la prétention de disposer d’une grande cité, qui ont profité d’un instant de désarroi pour s’ériger en arbitres des destinées publiques. On a pu surprendre Paris dans une heure où il était mécontent et aigri, voilà le malheur qu’on n’avait pas prévu, et ceux qui l’avaient prévu n’ont pas été toujours maîtres de leurs résolutions. Eh ! sans doute, il ne sert à rien de le nier, l’assemblée au premier moment a eu tort de trop voir la situation d’un œil provincial, à travers ses préjugés ou ses craintes, et elle a donné une ombre de prétexte à ce malentendu qui a fait que le gouvernement désarmé et délaissé devant l’émeute par ceux