Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/682

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ninsule ne cessera d’être, durant neuf siècles, la proie et aussi le tombeau des armées impériales ; ce sera, suivant le mot d’un des successeurs d’Othon, « la caverne du lion, où l’on entre, mais d’où l’on ne revient pas. »

À son retour d’au-delà des monts, Othon se donna la satisfaction de tenir dans le palais d’Aix-la-Chapelle un plaid magnifique où assistèrent comme deux vassaux Lothaire et le duc de France. Ce dut être pour l’un et l’autre une dure épreuve, l’un qui songeait à son passé, l’autre qui rêvait à son avenir ; ce fut du reste la première et la dernière entrevue de l’empereur allemand et des princes français. À la mort d’Othon, survenue bientôt après (973), Lothaire se hâta de secouer la tutelle germanique. Cet acte ne suffisait pas à relever sa fortune ; il lui fallait se mettre hors de pair vis-à-vis des féodaux. Comment ? Il eut l’instinct que, pour s’affranchir complètement, il devait non plus s’attaquer d’abord comme son père aux fiefs de Vermandois, de Normandie ou de Paris, mais se tourner vers la Lorraine, qui, menacée de plus en plus par ce dévorant empire d’Allemagne, s’offrait sans cesse à la France. Du même coup, Lothaire se faisait un domaine à lui avec des soldats valeureux ; il reléguait le comte de Paris au second rang, et donnait à sa monarchie les frontières naturelles du Rhin. Dès lors aussi, la balance était rétablie entre les deux grandes agglomérations de la Gaule et de la Germanie ; les conquêtes territoriales de Henri II, de Louis XIV et de la révolution étaient consommées au Xe siècle, toute notre histoire était changée. — Lorsqu’on sut que Lothaire projetait une expédition vers le Rhin, il y eut un véritable entraînement populaire. Certes on ne se rendait pas un compte net, comme on put le faire plus tard, des raisons politiques de l’équilibre européen ; mais c’était une aspiration générale. Hugues Capet et le duc de Bourgogne se joignirent eux-mêmes à Lothaire : plus de jalousies, plus de haines, plus de compétitions de famille ; on sentait que l’intérêt, la gloire de tous, étaient en jeu. L’armée était si nombreuse, dit un chroniqueur, que de loin « les piques droites ressemblaient à une forêt mouvante. » Othon, surpris, n’eut que le temps de quitter Aix-la-Chapelle pour s’enfuir vers le Rhin ; ce fut l’armée française qui mangea ce jour-là le dîner préparé pour la cour allemande. Lothaire, dans l’enivrement un peu hâtif de son triomphe, fit tourner vers le sud-est, comme un défi à l’Allemagne, l’aigle impérial aux ailes déployées qui jusqu’alors avait été tourné vers l’ouest en signe de menace contre la France. Rien n’empêchait Lothaire de mettre la main sur la Lorraine et de la rattacher étroitement à la Gaule franque selon le vœu impérissable de ses habitans. Il n’en fit rien cependant ; soit qu’il craignît l’influence de son cousin Hugues