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avoué, pour tremper mon cœur et le plier aux dures conditions de la vie ; mais ne sentez-vous pas qu’il y a une lacune dans cette solide éducation dont je commence à deviner l’utilité ? On a cultivé mon esprit, on l’a éclairé, fortifié ; cependant que sais-je des lois qui gouvernent le monde au milieu duquel le mariage me jettera ? M’a-t-on rien dit des périls qu’on y peut courir ? des tempêtes qui l’agitent ? J’en ai vu les conséquences sous le toit que j’habite. Je n’en connais pas les origines. En me parlant de votre adolescence heureuse, vous m’avez souvent fait cette comparaison d’un jeune homme qu’on enverrait au combat, la poitrine nue, contre des ennemis bardés de fer. Vous avez voulu me donner la cuirasse et le bouclier en me courbant au travail et à la patience. Achevez votre œuvre en me faisant voir les écueils contre lesquels votre bonheur a échoué. Je vous devrai de pouvoir les éviter.

— Eh bien ! soit, je te dirai tout ; mais tu pardonneras, si, du récit que je vais entreprendre, un blâme résulte contre la mémoire de celui dont tu portes le nom. J’ai tout pardonné, parce que tu m’étais laissée ; seulement je te dois la vérité tout entière.

Prenant alors une des mains de Gilberte entre les siennes, Mme de Villepreux lui raconta comment elle avait été mariée. Fille d’une mère un peu romanesque qui l’adorait, elle avait dix-huit ans, une assez belle fortune et un parfait désir d’être heureuse. Elle ne concevait pas la vie sans le bonheur, et le bonheur lui semblait impossible sans l’amour. M. de Villepreux lui fut présenté : il avait de la jeunesse et de la séduction, il paraissait l’aimer, elle l’épousa. Les premiers temps ne portèrent pas des coups bien sensibles à ses espérances, bien que des choses qu’elle n’avait point prévues la remplissent d’étonnement. Gilberte née, il fallut qu’elle ouvrît les yeux. M. de Villepreux était rentré en plein dans ses habitudes. La maison où sa femme demeurait avec son enfant, il ne l’habitait plus. Le mariage le gênait. Sa fortune dissipée ou compromise dans des affaires hasardeuses, il attaqua celle de Mme de Villepreux. Elle eut d’abord des complaisances, puis un jour, mise en garde contre sa propre faiblesse par un vieil ami de la maison, elle résista. Il y eut un éclat, et elle vit clair dans une situation qu’elle n’avait fait que deviner.

— Ici je touche à un point délicat de la vie, poursuivit Mme de Villepreux. Je ne voudrais pas soulever tout entier le voile qui la couvre, et peut-être cependant, en présence des chocs qu’elle vous ménage, vaudrait-il mieux ne rien ignorer. Sache seulement qu’il y a des femmes qui sont les ennemies de tout repos et de toute sécurité. Partout où elles passent, elles font le vide ;… quand leurs mains ne prennent pas la fortune, elles prennent l’honneur. Elles