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LA LORRAINE


PENDANT L’ARMISTICE




Pauvre Lorraine ! Je ne l’avais pas revue depuis la fin du mois de juillet, depuis le temps où les soldats français y arrivaient pleins d’espoir, où la population se portait à leur rencontre avec beaucoup de patriotisme, mais non sans une vague inquiétude et de tristes pressentimens. Les gares du chemin de fer de l’Est étaient alors pavoisées, des guirlandes de feuillage couraient le long des bâtimens ; des tonneaux de vin préparés par la générosité publique, des piles de provisions, attendaient au passage les défenseurs du pays. Sans descendre des trains, les soldats tendaient leurs bidons, que des mains empressées remplissaient aussitôt. C’était à qui leur apporterait du pain, du fromage, du lard ; les femmes se distinguaient par leur activité généreuse, comme elles devaient se distinguer plus tard par leur sollicitude pour les blessés. Aujourd’hui l’uniforme français ne se voit plus dans nos provinces de l’est que sur le des de pauvres mutilés qu’il eût été impossible d’emmener en Allemagne. Des employés allemands occupent les gares, des soldats allemands y montent la garde, les trains n’emportent plus que des uniformes prussiens, bavarois, saxons. On n’entend parler autour de soi que la langue allemande ; on se croirait à 100 lieues de France. Quelques rares habitans apparaissent de loin en loin, et regardent passer sans pouvoir s’y accoutumer le flot toujours croissant de l’invasion étrangère ; il faut faire sur soi-même un effort énergique pour fixer sa pensée sur un spectacle si douloureux. On aimerait mieux arracher de son souvenir ces tristes images, effacer cette page de sa vie ; mais aucun de ceux qui aiment leur pays, et qui, au milieu des souffrances de la grande patrie, ressentent plus vivement encore ce que souffre le coin de terre où ils sont nés, ne doit se dérober au devoir nécessaire de dire publiquement ce qu’il a