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Je retrouvai le Luxembourg tel que je l’ai toujours connu, guéri de tout penchant pour la Prusse par le long séjour d’une garnison prussienne, peu disposé à sacrifier une indépendance qui assure sa tranquillité, et qui vient encore de le préserver des horreurs de la guerre, mais attaché à la France par les liens les plus intimes de bon voisinage et de cordial attachement, à la condition que la France ne prétende ni le dominer ni l’absorber. Les femmes surtout, qui ont toujours traité avec rigueur les soldats prussiens, ne dissimulent pas leurs préférences françaises. Que de fugitifs de nos armées n’ont-elles pas recueillis, habillés, nourris, après les capitulations de Sedan et de Metz ! Une collecte, faite pour les Français dans la petite ville de Luxembourg, réunit en une après-midi la somme de 7,000 fr. Vingt-quatre voitures de vivres, envoyées par les habitans du grand-duché aux habitans de Metz, attendaient à Uckange, le 28 octobre, que les autorités allemandes leur permissent d’entrer dans la ville. Les Luxembourgeois voulaient être les premiers à secourir nos misères, et ils se plaignent encore que leur envoi ait été retardé par la mauvaise volonté d’un colonel prussien.

Est-ce pour punir le grand-duché de ses sympathies pour la France que les Allemands ne rétablissent aucun service de chemin de fer entre Luxembourg et Thionville, au grand préjudice du commerce local et de l’industrie belge, qui empruntaient cette voie pour leurs relations avec la Suisse ? Un modeste omnibus remplace maintenant la locomotive internationale. À l’entrée en France, au premier village, la marque de l’occupation prussienne apparaît déjà sur les murs du bureau de poste, où pend l’aigle noir au-dessous d’une inscription allemande. Jusque-là, les champs sont ensemencés, cultivés, les sillons de blé et de seigle étendent leurs lignes vertes à droite et à gauche de la route. Plus loin, à mesure qu’on approche de Thionville, la dévastation et la désolation commencent. Landes incultes, maisons éventrées par les obus, murs à demi ruinés, arbres fracassés, tout ce qu’on voit offre l’aspect d’un champ de bataille. Le château de Lagrange reste cependant debout et en apparence intact au milieu de son parc désert. Tout autour de la ville, l’œil n’aperçoit que des troncs d’arbres coupés au ras du sol, des vestiges de haies arrachées, quelques débris de maisonnettes, quelques allées bordées de buis qui indiquent l’emplacement des anciens jardins. C’est là que les habitans venaient arroser quelques fleurs et chercher un peu d’ombre. Plates-bandes entretenues avec amour, rosiers parfumés, dahlias aux riches couleurs, tonnelles discrètes revêtues de vigne vierge et de chèvrefeuille, tout a disparu en même temps. La guerre a fait son œuvre et détruit tout ce qui servait aux joies innocentes de l’homme. L’homme lui-même, qu’est-il devenu ? Combien de ceux qui l’été dernier jouissaient en paix