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d’un jardinet sous les murs de Thionville n’ont-ils pas été frappés par la maladie, par le chagrin, par la mitraille !

L’intérieur de la ville n’est pas moins désolé. Cinquante-quatre heures d’un bombardement continu ont anéanti tout le quartier de la sous-préfecture, depuis les casernes jusqu’à la place. Des batteries que l’artillerie des assiégés ne pouvait démonter, installées sur des hauteurs à 1,500 mètres des remparts, couvraient les maisons de bombes à pétrole, et y allumaient des incendies inextinguibles. On a retrouvé des projectiles qui n’avaient point éclaté, et qui contenaient 16 litres de matières inflammables. Sous cette pluie de feu, les bâtimens les plus solides s’effondraient, et brûlaient jusqu’au ras du sol. Je cherche une maison amie ; il n’en reste qu’un pan de mur noirci par la fumée. Des fragmens de portes brisées, des morceaux de pierres de taille, jonchent çà et là la cour du château. D’aimables hôtes me reçoivent dans une vaste salle dont le plafond porte la marque des obus. Étrange manière de préparer une annexion que des politiques sans scrupules peuvent méditer, mais dont la seule pensée révolte jusqu’au fond de l’âme les habitans les plus inoffensifs ! Quoi qu’en disent à Berlin quelques professeurs d’ethnologie, les gens de Thionville n’ont rien d’allemand, et si quelques affinités les rapprochaient de la race germanique, le souvenir du bombardement les en éloignerait. Les premiers soldats allemands qui entrèrent dans la place croyaient y trouver, d’après les traités de géographie les plus populaires en Allemagne, l’usage de la langue allemande très répandu et très général ; ils reconnurent avec étonnement que la grande majorité de la population était française de langue aussi bien que de cœur. Le petit commerce seul parle allemand pour les besoins de la vente, afin de s’entendre plus facilement avec les paysans des environs. On aura beau débaptiser Thionville, la nommer officiellement Didenhofen, comme le fait dans tous les actes publics le gouverneur actuel de la Lorraine, on n’en fera point une cité germanique. Le nom obscur de Didenhofen ne rappellera jamais aux habitans du pays que des prétentions insupportables et une domination détestée, tandis que le noble nom de Thionville leur rappelle la gloire toute française du prince de Condé et l’héroïque campagne de 1792.

De Thionville à Longwy, la route de poste traverse les belles usines d’Hayange, le plus important des établissemens métallurgiques de notre pays après le Creusot. Les hautes cheminées, si actives jadis, ne lancent plus vers le ciel leurs noires colonnes de fumée ; un silence de mort règne sur la vallée, si bruyante d’ordinaire. Des milliers d’ouvriers trouvaient là le pain de chaque jour. Au prix de quels sacrifices MM. de Wendel leur procurent-ils encore un peu de travail ! Par quelles épreuves eux-mêmes n’ont-ils point