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On ne lui reprochera pas de s’être rendu trop tôt quand on aura visité le champ de bataille ; les façades des maisons montrent de toutes parts leurs plaies béantes, et, si l’on entre par hasard dans celles qui paraissent le plus épargnées, qui ne portent extérieurement aucune marque de destruction, on aperçoit des toits percés à jour, des plafonds éventrés et des poutres branlantes. C’est cependant à cette pauvre ville si maltraitée que les autorités prussiennes, interprétant comme toujours à leur profit un article obscur de la capitulation, demandaient 60,000 fr. au moment où je l’ai traversée.

De Longwy à Metz, la route de voitures, la seule que puissent prendre maintenant les voyageurs, puisqu’il n’existe plus sur cette ligne aucun service régulier de chemin de fer, passe à quelque distance de Thionville, en vue des murs de la place, mais sans y entrer. La plaine de la Moselle, où la culture est si productive, où se faisaient chaque année de si magnifiques récoltes, paraît maintenant désolée et déserte. Nulle trace de semailles dans les champs, aucune apparence de vie dans les villages : çà et là, des maisons semblent vides d’habitans ; par les portes ouvertes, l’on voit les granges nues et les écuries abandonnées ; ni vaches ni chevaux au râtelier. Quelques troupeaux de moutons se dirigent vers Metz, venant d’Allemagne et conduits par des bergers à cheveux blonds. Tout ce qui se fait encore de commerce dans ce pays dévasté passe du reste entre les mains des Allemands. Ce sont leurs marchands qui fournissent des approvisionnemens à la ville et leurs voitures qui les y apportent. Une pauvre femme, que j’interroge et qui pleure la perte de tout ce qui lui appartenait, m’apprend qu’elle n’entend plus parler autour d’elle que la langue allemande, et qu’on ne rencontre sur les chemins que des étrangers. Pour qui connaît la facilité avec laquelle la race germanique s’expatrie, la pauvreté d’une partie des habitans de l’Allemagne et leur goût pour le négoce, nul doute que l’invasion civile n’ait suivi partout l’invasion militaire. Derrière l’armée s’avançaient des nuées de commerçans, de spéculateurs, de gens pauvres et avides qui allaient exploiter notre pays et prendre leur part du butin. Quelle proie que la France, que nos provinces de l’est surtout, si riches et si prospères, pour une population besoigneuse ! Quelle belle occasion de rapporter chez soi les dépouilles du vaincu, ou de vivre chez lui à ses dépens ! Qu’on ne l’oublie pas, — ce sera un des traits caractéristiques de cette guerre, — depuis le commencement de la campagne, les Allemands n’ont pas perdu de vue un instant leur intérêt commercial ; dans nos relations avec eux, nous n’avons point seulement affaire à des soldats qui usent rigoureusement des droits du vainqueur, mais à des trafiquans fort habiles et très retors qui tireront de nous tout ce que la France peut donner, pour qui chaque succès nouveau de