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leurs armes représente une série de bénéfices et d’opérations lucratives. Déjà en Lorraine une sorte de bande noire parcourt les villages, y compte le nombre des absens et des morts, de ceux qui, emmenés avec leurs chevaux par les troupes allemandes, n’ont jamais reparu, des victimes que la guerre, le chagrin ou la maladie ont faites, s’enquiert des terres abandonnées, des propriétés à louer ou à vendre, et commence à installer sur le sol français des cultivateurs allemands pour germaniser peu à peu le pays, comme on a germanisé le duché de Posen et le Slesvig. On sert du même coup ses intérêts et la politique de l’Allemagne. Des boutiques allemandes s’ouvrent à Metz, à Nancy, partout où les troupes séjournent, et cherchent à s’approprier le commerce local. Si on évalue à un million le nombre des soldats allemands qui ont pénétré en France, il ne faut pas estimer à un chiffre inférieur la population civile qu’ils traînent à leur suite. Tous les départemens envahis regorgent de visiteurs intéressés qu’y attire l’espoir d’y commencer ou d’y compléter leur fortune. La Moselle surtout en reçoit un grand nombre par les trois routes de Sierck, de Forbach et de Sarreguemines.

Au-delà du village dévasté et ruiné de Maizières commence la ligne d’investissement que l’armée prussienne avait tracée autour de Metz. L’œil cherche avec curiosité ces formidables retranchemens dont on a tant parlé, ce prétendu cercle de fer dans lequel le maréchal Bazaine se disait enfermé. Quelques accidens de terrain habilement utilisés, quelques fossés naturels ou creusés de main d’homme, derrière lesquels des épaulemens abritaient des batteries, voilà tout ce qu’on découvre, à une lieue de distance, au milieu de la plaine nue. Comparés aux terrassemens du génie français, ces travaux ressemblent à de simples ébauches, que nulle part on ne s’est donné la peine d’achever avec soin. La terre n’est ni tassée, ni coupée en compartimens symétriques, avec des angles et des talus irréprochables ; elle est simplement jetée à la pelle, sans que la corde et le niveau l’aient régularisée. Même dans les ouvrages militaires, nous poursuivons la beauté de la forme, nous cherchons le style ; les Prussiens, gens positifs, ne s’occupent que de ce qui est utile, et ne font que le nécessaire. Peu leur importe que leurs travaux paraissent sans art, pourvu qu’ils en tirent pour la guerre tout le parti qu’ils peuvent en attendre ; mais, si les retranchemens qu’on voit entre Maizières et Metz, depuis les bords de la Moselle jusqu’aux collines qui bordent la plaine, sont réellement des fortifications imprenables, il faut que nos officiers du génie changent de système. À quoi bon entretenir désormais à grands frais les remparts de nos forteresses, enfermer derrière des murs inutiles une population inoffensive que nous exposons au danger du bombardement ? Partout où l’on voudra, sur n’importe quel terrain dé-