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menace des dernières rigueurs. Après y avoir perçu jusqu’ici près de 4 millions en argent, sans compter ce qui a été fourni en nature, le logement et la nourriture des troupes qui y passent tous les jours depuis six mois, les Allemands exigent de nouveau, sous différens prétextes, 1,400,000 francs, que la ville est hors d’état de payer. Si elle ne paie point, l’autorité allemande fait entrevoir des mesures sévères, et tient les habitans sous la terreur. À Metz, comme dans toutes les parties de la Lorraine que nos ennemis entendent annexer à l’Allemagne malgré la volonté des populations, les impôts en argent sont moins durs, quoique pendant l’armistice le roi de Prusse vienne d’accorder aux officiers allemands 15 francs d’indemnité de campagne par jour au lieu de 6, et que les contribuables français soient tenus de les payer ; mais en revanche on traite les personnes plus sévèrement pour faire acte de domination et exercer d’avance les droits de souveraineté. Il faut préparer le terrain pour l’annexion, écarter par conséquent les élémens de résistance. On établit peu à peu en principe que tous les chefs de service, tous les fonctionnaires, même d’un ordre inférieur, qui ne sont point du pays, qui n’y possèdent point de propriétés, doivent quitter les lieux. En plein armistice, le président du tribunal civil, deux présidens de chambre à la cour d’appel, un conseiller, ont reçu l’ordre de s’éloigner avec leurs familles dans le délai de trois jours. D’autres se savent menacés. Une police vigilante les surveille, et au moindre symptôme d’opposition les enverra en exil. Les journaux, dont le patriotisme n’a pas failli depuis l’occupation prussienne, sentent toujours quelque épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de ceux qui les rédigent. Le rédacteur de l’Indépendant de la Moselle a même payé son courage de sa liberté et passé quelque temps en Allemagne comme prisonnier. Pour chacun du reste, la prison commence aux portes mêmes de Metz.

Nulle trace de découragement ne se manifeste néanmoins, même chez ceux qui ont le plus souffert. Les visages expriment plus de tristesse que d’abattement ; une résolution indomptable survit au fond de tous les cœurs aux plus dures épreuves. Après avoir supporté les malheurs du passé, on défie intrépidement ceux de l’avenir. Quel que soit le sort réservé à la ville par les traités, les habitans savent qu’il ne dépend d’aucun article diplomatique de changer leurs sentimens, qu’ils resteront Français de cœur jusqu’au dernier jour, et qu’ils élèveront leurs enfans dans l’amour de la France. L’Allemagne ne peut se faire à cet égard aucune illusion. Les nombreux officiers, les administrateurs et les agens de police qu’elle entretient à Metz doivent lui dire, s’ils sont clairvoyans et sincères, que tous les esprits sans exception y résistent énergiquement à toute tentative de propagande germanique. On y loge, on