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y nourrit les fonctionnaires allemands par ordre ; mais, quoique beaucoup d’entre eux se piquent d’une politesse raffinée et témoignent même aux habitans des égards importuns, la vie de famille où ils espéraient être admis, où ils expriment quelquefois le désir discret de pénétrer, leur reste impitoyablement fermée. Il y a, il y aura toujours un mur infranchissable entre la population française et la garnison étrangère. Les femmes, plus libres que les hommes de laisser voir ce qu’elles pensent, le disent assez haut pour que toute oreille allemande ait pu l’entendre. À ceux qui leur demandent de les traiter en amis, elles répondent invariablement que la loi prussienne peut disposer de leurs appartemens et de leurs tables, mais non de leurs affections, et que tout ce qu’elles ont d’amour, elles le gardent pour la patrie française. Toujours vêtues de noir, dans le costume le plus simple et le plus sévère, elles portent ostensiblement, sous les yeux de nos vainqueurs, le deuil de notre défaite. Ce n’est là, il est vrai, qu’une force morale ; mais la force morale prépare les instrumens de l’avenir, et l’on reconnaît les peuples dont les malheurs ne dureront pas à la dignité avec laquelle ils supportent les coups inattendus qui les frappent.

Les sentimens individuels des Messins ont été résumés du reste avec beaucoup de force et de noblesse dans un mémoire que le conseil municipal de Metz adressait le 11 février au gouvernement de la défense nationale. Après avoir établi qu’à Metz, même au temps où la ville faisait partie du saint-empire romain, on parlait et on écrivait uniquement le français, que la langue et les origines de la cité la rattachent à la France en la séparant de l’Allemagne, qu’aujourd’hui encore presque personne n’y sait l’allemand, et que le petit groupe germanique qui y résidait avant l’invasion ne se composait que de gens de service et d’employés de commerce, la municipalité messine conclut en des termes qui doivent rester comme l’expression de l’opinion publique et la protestation anticipée du droit contre la force. « Nous affirmons, dit-elle, qu’à Metz tous les habitans, sans distinction de croyances religieuses ou d’opinions politiques, sont unis dans un sentiment commun, et que rien au monde ne peut altérer leur volonté de conserver la nationalité française. Personne, nous en avons la certitude, ne contestera l’évidence de ce fait, et si, de quelque côté que ce fût, il pouvait s’élever le moindre doute, le vœu des populations librement exprimé répondrait avec un mouvement unanime. » La cité dont les représentans naturels parlent ainsi en face de l’étranger, sous la main de ceux qui la convoitent, peut attendre avec calme la réponse des événemens ; quoi qu’il arrive, elle aura dit nettement ce qu’elle veut, et n’aura rien cédé de ce qu’il lui appartient de revendiquer comme son droit.

A. Mézières.