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L’ALSACE ET LA PRUSSE.

Bas-Rhin, donne 14 000 Allemands ; encore dans ce chiffre ne fait-on pas entrer la population flottante, nombreuse dans la belle saison, surtout dans les montagnes, qui reçoivent alors une si grande foule d’étrangers. De tous ces Allemands, ou fixés en Alsace, ou de passage dans cette province, beaucoup travaillaient à une enquête dont nous devrons plus tard apprécier la scrupuleuse exactitude. Le 5 août, veille de la bataille de Wœrth, deux officiers prussiens entrent à l’auberge dans un petit village aux environs de Soultz. « Vous ne nous reconnaissez pas ? disent-ils à l’hôtelier de l’air le plus aimable ; nous sommes les deux voyageurs que vous avez reçus au printemps dernier : mon ami et moi nous faisions le plan de la forêt de Soultz. » On sait que Soultz est à quelques lieues de Reichsoffen et de Freschwiller, que cette région boisée a toujours eu une grande importance stratégique dans les campagnes d’Alsace. Ces deux messieurs étaient officiers d’état-major, et s’étaient donnés comme élèves forestiers. L’entreprise qu’ils avaient menée à si bonne fin leur causait quelque orgueil : en pareille circonstance, leurs compatriotes éprouvent d’ordinaire les mêmes sentimens. Au mois d’octobre, à Strasbourg, un fonctionnaire des finances devait remettre à l’officier du génie prussien chargé de louer les terrains vagues des fortifications les baux déjà passés entre les adjudicataires et l’administration française. Il était nécessaire d’avoir un plan sous les yeux. « Si vous voulez, monsieur, dit l’officier, nous nous servirons du mien ; il est supérieur à tous ceux qu’a dressés le génie français : j’y ai mis le temps, il est vrai ; pour l’achever, j’ai dû passer plus de trois ans à Strasbourg ; c’est ce qui m’a permis d’apprendre votre langue, que je manie, comme vous le voyez, assez bien. » Les anecdotes de ce genre sont nombreuses en Alsace et dans toute la France. Il est important de ne les accepter qu’après examen, car la légende se donne déjà libre carrière ; mais, quand elles sont certaines, il faut les recueillir avec soin : elles doivent avoir leur place dans l’histoire critique des préliminaires de la lutte. Il est tout naturel que les nombreux Allemands rappelés d’Alsace pour le service militaire au mois de juillet soient devenus des guides excellens pour l’armée d’invasion. Presque partout les uhlans se trouvaient en pays de connaissance ; nombre d’habitans ont eu pour garnisaires leurs anciens domestiques, qui rentraient chez leurs maîtres la carabine au poing. Il s’est formé en Allemagne un grand nombre de sociétés pour faire le relevé des sommes que les Allemands ont perdues par suite de leur expulsion de France. Dans ces calculs, qui atteignent un chiffre considérable, plus de 1 milliard, on ne remarque pas que l’industrie française, dans beaucoup de villes que les Allemands ont dû quitter, n’a pas moins chômé que l’industrie allemande. Ces hôtes volontaires de la France qui nous demandent le remboursement de ce