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mort en 1364. Pour l’ordre constitutionnel, on n’a pas assez remarqué que c’est au roi Jean que l’on dut le développement en quelque sorte régulier des états-généraux, dont il tint une assemblée chaque année, ce qui fut une nouveauté, et ne s’est plus pratiqué sous aucun règne. Enfin, s’il s’agit de l’intelligence, Froissart, qui a flatté l’Angleterre bien plus que le roi Jean, affirme que celui-ci était de grande conception.

Quoi qu’il en soit, le roi Jean arriva au trône précédé d’une réputation militaire, chevaleresque et même politique, et estimé de toute la chrétienté. Il était prompt au courroux, mais généreux autant que brave, d’une loyauté à toute épreuve, et pénétré des grands desseins de sa race. À l’âge de quatorze ans, il avait été jugé digne d’être garde du royaume, si le roi son père partait pour la croisade. À l’âge de dix-huit ans, il avait fait avec honneur la campagne de Flandre, et enlevé bravement Thun-l’Évêque, où furent employés pour la première fois, dit-on, des canons et des bombardes. L’an d’après, il prenait une part glorieuse à cette guerre de Bretagne, vrai roman de chevalerie, dont deux femmes furent les héroïnes, Jeanne la Boiteuse et Jeanne la Flamande. En 1345, il commandait les forces françaises en Guienne, et y obtenait des succès. Un trait charmant de caractère l’avait fait apprécier au siège d’Angoulême. Le capitaine anglais, réduit à l’extrémité, lui avait fait demander une trêve d’un jour pour fêter la purification de la Vierge, et Jean l’avait accordée. L’Anglais en profita pour sortir de la place avec armes et bagages. Arrêté aux avant-postes français, il répondit qu’il n’était pas là pour se battre, mais qu’il profitait de la trêve pour se promener hors de la ville, où lui et ses soldats étaient enfermés depuis si longtemps. Jean se contenta de sourire, et dit : « Laissez-les passer ; » il avait donné sa parole, et se tint pour satisfait d’entrer dans la ville. C’est le cachet de la chevalerie du temps. En 1346, pendant que son père perdait au nord la bataille de Crécy, le duc de Normandie, c’est ainsi que se nommait Jean de France avant d’être roi, alarmait les Anglais dans le midi, et y livrait de rudes batailles, notamment celle d’Aiguillon. En 1348, il négociait habilement avec la reine Jeanne de Naples pour l’acquisition de la Provence ; mais sa diplomatie échoua contre celle de la cour papale d’Avignon, qui redoutait un puissant et trop rapproché voisinage, et contre la résistance de la noblesse provençale, laquelle ne craignit point d’emprisonner en quelque sorte sa souveraine pour l’empêcher d’aliéner son domaine et leur indépendance. Jean était assuré déjà alors du Viennois. L’unité du territoire le préoccupait ; ce qu’il ne put obtenir en Provence, un de ses fils l’obtint plus tard, et lui-même y parvint pour la Bourgogne quelques années après. Son esprit, toujours l’esprit du temps, l’avait fait choisir pour s’aboucher avec l’habile