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sont l’accompagnement nécessaire du bonheur, l’enseigne de la boutique. Ses ambitions secrètes étaient d’avoir sous ses fenêtres un grand bassin de marbre avec des tritons et un jet d’eau, de planter devant sa grille une statue allégorique, de remplacer la bonne Savoyarde qui la servait à table par un grand diable de domestique en cravate blanche, et de donner chaque semaine un festival où l’on tirerait beaucoup de fusées sur la terrasse, — car elle avait un faible pour les fusées. Malheureusement les allégories, les cravates blanches et les feux d’artifice ne disaient rien au cœur de M. Mirion. Il aimait ses aises, le confort ; mais il estimait que la vanité coûte gros et ne rapporte guère. Au reste, ces légers dissentimens n’amenaient jamais de sérieuses contestations dans le ménage. M’"* Mirion adorait son mari, qu’elle considérait comme un grand homme, et se résignait à ses refus comme aux décrets d’une sagesse supérieure à la sienne. En revanche, M. Mirion se plaisait à reconnaître les mérites solides de sa femme et tous les services que lui avait rendus jadis son esprit d’ordre et de conduite. Elle gouvernait sa maison avec une attention, une vigilance infatigable, ayant l’œil partout, à la cave comme au grenier, à l’office comme à la cuisine, et joignait à ses qualités de ménagère accomplie les talens d’un cordon-bleu émérite. Il y avait là de quoi lui faire pardonner sa passion malheureuse pour les tritons. Le bonheur de ces excellentes gens était communicatif ; ils aimaient h répandre autour d’eux leur liesse et leur épanouissement de cœur. Poules, chats et chiens, tous les pensionnaires de Mon-Plaisir faisaient bombance, goûtaient les douceurs d’une vie grave et commode sous un gouvernement paternel et miséricordieux. Parmi les animaux domestiques qui avaient trouvé à Mon-Plaisir le vivre et le couvert, les plus choyés étaient deux vieilles filles, parentes de M. Mirion, qui les avait recueillies sous son toit moyennant une modeste pension. L’une, M"** Baillet, était sa tante maternelle. On la désignait plus communément dans la maison sous le nom de la tante Amaranthe, parce que l’amaranthe était sa couleur, témoin les rubans de son bonnet, les prétintailles de ses robes et ses bas du plus beau pourpre. En dépit de ses soixante et dix ans, cette honnête demoiselle était merveilleusement conservée ; prenant grand soin de sa personne, tirée à quatre épingles, l’air et le ton un peu précieux, les épaules effacées, le menton relevé, elle marchait droite comme un cierge, et quand elle était assise, il n’arrivait guère que son dos effleurât le dossier de sa chaise. Elle avait quelque lecture, quelque expérience du monde. Ayant passé dix années comme demoiselle de compagnie dans une grande famille mecklembourgeoise, elle en avait rapporté des maximes, des apho-