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ques sur l’organisme humain. En présence de faits de cette nature, il serait difficile de nier que les miasmes sont quelque chose de matériel, de tangible, voire même de vivant ; ce sont des germes que le vent colporte et qui épuisent l’organisme aux dépens duquel ils se développent.

Il est difficile de dire comment s’exerce l’action délétère de l’eau marécageuse ou souillée par des matières animales, lorsqu’elle sert de boisson ; mais cette action existe, elle est incontestable. Parent-Duchâtelet produisait sur des chiens les symptômes du typhus en leur faisant manger de la viande en décomposition. Bien des rapports ont été faits par des commissions compétentes sur les effets nuisibles de la pollution des rivières dans lesquelles on déverse des résidus de fabriques et des eaux d’égout. Il est certain qu’en aval de toutes les grandes villes l’eau est horriblement insalubre. On a cru pendant longtemps que les matières organiques mêlées aux eaux d’une rivière s’oxydaient au contact de l’air, et qu’ainsi la rivière s’épurait complètement après un parcours d’une certaine longueur. Il n’en est rien. Les expériences récentes d’une commission anglaise, dont le rapporteur a été un chimiste célèbre, M. Frankland, ont démontré qu’il n’y a pas dans tout le royaume-uni de cours d’eau assez long pour rendre possible la destruction des matières organiques par l’oxygène de l’atmosphère. La marche d’une rivière ne peut exercer qu’une influence matérielle par le dépôt d’une grande quantité d’impuretés organiques ou minérales en suspension dans l’eau, et qui gagnent le fond, entraînées par leur poids. C’est cette clarification qui a fait croire à l’amélioration rapide des eaux courantes ; mais la matière qui est dissoute ne s’élimine que très difficilement, et ce qui se dépose donne à la rivière un lit de boue. La Seine reçoit chaque jour à Paris 260, 000 mètres cubes d’eaux sales, et ce flot vaseux a pour effet d’encombrer chaque année le fleuve de 120, 000 tonnes de dépôts solides, sans parler de l’altération chimique de l’eau. Au lieu d’infecter les rivières par les déjections des villes, il faudrait utiliser les eaux d’égout pour l’irrigation des prairies, car l’agriculture perd ce qui est de trop pour la santé publique. Heureusement cette question commence à préoccuper sérieusement les hygiénistes.

L’habitant des villes paie bien cher les avantages dont il jouit, si la terre qu’il foule et l’eau qu’il boit l’empoisonnent lentement ; mais ce n’est là que le châtiment de notre incurie. Nous apprenons à nos dépens qu’enterrer n’est pas anéantir et que noyer n’est pas détruire. Nous nous croyons débarrassés à peu de frais de ces immondices qui nous gênent, elles remontent, revenans implacables, du fond de la terre et des eaux sous les traits hideux de la maladie.


C. Buloz.