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rens qu’on voyait luire doucement, ainsi qu’à fleur d’eau, les blanches nudités de ces Néréides.

Presque toutes, à Rome, étaient blondes. La Délia de Tibulle avait de blonds cheveux comme la Cynthia de Properce. Cela ne laisse pas d’abord que de paraître étrange en Italie, ou, puisqu’il s’agit d’affranchies, en Syrie, en Judée, à Alexandrie ; mais chacun sait qu’on donnait aux cheveux la couleur d’un brun roux ou l’éclat fauve de l’or en les teignant au moyen de certaines préparations caustiques, souvent très funestes à la conservation de la chevelure, témoin la jeune fille devenue chauve dont parle Ovide. Les femmes riches aimaient mieux acheter dans les tavernes élégantes des portiques de Minucius ces chevelures postiches d’un blond ardent qui venaient de la Germanie. Toute dame romaine un peu soigneuse de sa parure, à moins qu’elle n’affectât l’austérité d’une antique matrone, avait de faux cheveux de cette nuance ou d’une couleur plus foncée. Les blondes chevelures soyeuses en effet ne furent d’abord portées que par des courtisanes. Quand Messaline, devenant Lycisca, quittait pour une étroite cellule mal odorante son lit d’ivoire d’impératrice, elle avait soin de rouler les tresses rudes et épaisses de ses lourds cheveux noirs sous une perruque blonde[1]. D’ailleurs, avec les mille façons de se coiffer alors connues, par exemple avec la coiffure étagée en forme de tour, aucune femme n’aurait eu assez de cheveux si elle n’en avait emprunté à autrui. Voilà comment Délia était blonde. Pas plus aveugle que Properce ou Ovide n’était Tibulle lorsqu’il chantait les blonds cheveux de sa maîtresse ; il acceptait en toute simplicité une gracieuse fiction consacrée par la mode.

D’ailleurs, comme tous les jeunes élégans, il avait dû assister souvent au petit lever et à la toilette de Délia, alors qu’une esclave enfermait ses cheveux dans un réseau d’or, ou les enserrait dans un bandeau de lin orné de broderies qui rétrécissait le front. Le front bas et mat des dames romaines a passé dans tous nos rêves d’adolescens !

Insignem tenui fronte Lycorida,


a dit Horace précisément dans l’ode qu’il adressa à Tibulle[2]. Il savait de reste comment on donne à la peau des tons d’ambre ou des teintes nacrées, avec quels philtres préparés par ses bonnes amies de l’Esquilin on dilate la pupille de l’œil pour lui faire lancer des flammes. Les sourcils, les cils, les lèvres, les veines des tempes de sa maîtresse exerçaient tour à tour l’industrie délicate

  1. Juv. Sat., VI, 120.
  2. I, XXXIII, 5.