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trouvant audacieusement violée par l’établissement de l’anabaptisme, les habitans étant en pleine révolte avec l’évêque, celui-ci avait envoyé contre eux ses troupes et fait bloquer la ville dès les premiers jours de mai.

Une fois les maîtres, les sectaires, au lieu de songer à prévenir les conséquences que le renversement de l’église luthérienne allait entraîner pour Münster, ne s’occupèrent d’abord que d’assouvir leur rage contre tout ce qui rappelait l’ancien culte. Statues et tableaux tombèrent sous les coups de ces vandales. Les plus belles peintures de l’école westphalienne furent alors anéanties. Puis vint le tour des livres; on brûla solennellement sur le marché la magnifique collection de manuscrits que Rudolf de Langen avait réunie en Italie. La fureur des sectaires contre tout monument de l’art ou de la science était telle qu’on s’en prit jusqu’aux instrumens de musique, qui furent mis en pièces. Les anabaptistes ne voulaient plus d’autres œuvres de la pensée que la Bible, dont l’interprétation devait être réservée au prophète. Celui-ci, appliquant les principes déjà suivis par les communautés allemandes, procéda à l’établissement du système communiste. Ce ne furent plus seulement les biens des exilés que l’on partagea aux fidèles; tout dut être mis en commun, et il fut enjoint à chacun, sous peine de mort, de déposer à la chancellerie le numéraire, les bijoux et les objets précieux qu’il pouvait posséder. La propriété individuelle était abolie, et le gouvernement du prophète se chargeait de pourvoir aux nécessités de tous. Münster s’organisait en une sorte de grand phalanstère où chacun exerçait son métier comme une véritable fonction publique, sous la condition de se conformer aux prescriptions imposées par le nouveau régime et de travailler exclusivement pour la communauté. C’est ainsi que les tailleurs confectionnaient les vêtemens destinés à toute la population d’après un modèle dont il leur était interdit de s’écarter. Une hiérarchie fut introduite dans les divers emplois, et au-dessus de tous prenaient rang ceux auxquels était habituellement confiée la défense de la ville. Les repas avaient lieu en commun et aux frais de l’état; ils se passaient comme dans un couvent, on mangeait en silence, tandis qu’un des frères lisait un chapitre de la Bible. Les femmes se tenaient d’un côté, les hommes de l’autre.

Cependant les hostilités étaient engagées, et peu de temps après la direction de l’église de la ville était passée des mains de Jean Mathys à celles de son vicaire Jean Bockelsohn. Le prophète de Harlem, qui ne doutait pas que les troupes épiscopales ne fussent à la première rencontre couchées à terre par le souffle du Tout-Puissant, s’était porté avec quelques hommes hors de la place et