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avait trouvé la mort dans cette téméraire sortie. Le tailleur de Leyde aspirait à réunir sur sa tête tous les pouvoirs, et prépara les choses en conséquence. Ses amis allèrent répétant partout que c’était non pas seulement dans l’ordre religieux, mais aussi dans l’ordre civil que la parole de Dieu devait faire loi. Ils demandaient que celui qu’ils avaient choisi pour prophète fût investi d’une autorité absolue. Bockelsohn feignit de redouter une si lourde charge et de vouloir s’en remettre à un conseil dont il exécuterait simplement les décisions. Tant que ses affidés travaillaient l’opinion pour l’élever à la dictature, il avait gardé le silence, sous prétexte que Dieu lui fermait la bouche. Dès qu’il crut les esprits suffisamment gagnés, il sortit de son mutisme et déclara que Dieu lui avait révélé la nouvelle forme à donner au gouvernement du peuple élu. Douze anciens devaient être choisis pour rendre la justice, ainsi que cela s’était pratiqué dans Israël. Rothmann, qui n’était plus que l’écho de la voix du prophète, confirma cette révélation et proclama les noms, certainement arrêtés à l’avance avec Bockelsohn, de ceux qui devaient être choisis pour anciens. Le conseil suprême n’était qu’une fiction destinée à masquer la tyrannie du prophète; celui-ci fut censé n’avoir que le droit de promulguer les sentences prononcées par les douze, qui étaient à sa dévotion.

Les anciens entrèrent donc en fonction; il y en eut toujours six occupés à juger. Ils rédigèrent le nouveau code de lois d’après lequel allait être rendue la justice, et qui était en grande partie emprunté à la législation mosaïque. Bockelsohn en fit la promulgation. Knipperdollinck fut revêtu de la charge de grand-justicier; c’est à lui qu’il appartenait de frapper les coupables avec l’épée. On s’occupa ensuite de changer tous les vieux usages. Déjà la propriété avait été abolie; on réforma ce qui concernait le mariage, et l’on rétablit la polygamie de l’âge patriarcal. La pensée de revenir à cette antique institution s’était présentée à l’esprit de quelques apôtres de la réforme; Carlstadt et Münzer l’avaient acceptée. Luther lui-même y inclina un instant, frappé qu’il était de voir dans l’Ancien-Testament Dieu approuver la pluralité des épouses; mais il avait été retenu par cette considération, que nous devons obéissance à la loi civile qui donne sa sanction au mariage et prescrit la monogamie comme plus favorable au bon ordre des sociétés. Un tel motif ne pouvait être déterminant aux yeux des anabaptistes. Mathys, sous prétexte de se conformer à l’inspiration qu’il avait reçue d’en haut, s’était séparé de sa femme légitime pour s’unir à une plus jeune et plus belle nommée Divara. Il avait amené celle-ci à Münster, et ses charmes firent impression sur Bockelsohn; aussi, après la mort du prophète de Harlem, l’ancien tailleur de Leyde